Coïncidence. Les dates du marquis correspondent exactement à une période précise de l’histoire du droit français, à savoir la réforme pénale, à l’origine de notre droit contemporain. Sade naît en 1740 ; la réforme du droit pénal, dans les années 1740, avec la critique de plus en plus forte de la justice pénale de l’Ancien Régime, encore réglée par l’ordonnance de 1670. Il meurt en 1814, soit quatre ans après le Code pénal de 1810, sur lequel est basé pour l’essentiel notre Code pénal actuel. Sa vie est celle de la réforme : il naît sous la justice royale, atteint son apogée avec la justice révolutionnaire et le tout premier Code pénal, celui de 1791, et meurt sous le Code napoléonien. L’histoire de la justice et celle de Sade coïncident exactement. Mais il y a mieux : Sade a précisément affaire à la justice pénale. Et il connaît bien les prisons, pour y avoir passé le dernier tiers de sa vie, alors même que les années 1780 à 1815 correspondent à l’émergence de la prison pénale.
L’œuvre du marquis de Sade est connue pour être l’une des plus violentes jamais écrites. Violente contre la loi, la religion, les conventions, l’ordre établi. Et surtout violente par le moyen du sexe. C’est ce caractère, précisément, qui divise les lecteurs : si cette œuvre si particulière est illisible pour certains et objet d’adoration pour d’autres, c’est parce que le sens de cette violence est différemment compris, et qu’elle suscite en chacun des réactions diverses, mais toujours viscérales. « Je ne m’adresse qu’à des gens capables de m’entendre, et ceux-là me liront sans danger », prévenait déjà l’auteur (Philosophie dans le boudoir). Pour être capable de l’entendre, et surtout de le comprendre, c’est-à-dire pour prétendre avoir des choses à dire non seulement sur le texte mais surtout sur la pensée de Sade, il peut être utile de rappeler trois principes préalables à toute lecture.
La distinction cartésienne entre infini et indéfini n’a-t-elle que des raisons métaphysiques ? Cet article explore les raisons politiques et langagières qui ont pu pousser Descartes à réserver l’infini (ce qui est positivement sans bornes) à Dieu seul et l’indéfini (ce dont on ne peut prouver les bornes) au monde physique et aux mathématiques. Il montre que cette fameuse distinction est en partie – mais pas exclusivement – politique, en réaction à la pression exercée par l’Ecole et l’Eglise, qui avait eu raison de Galilée quelques années plus tôt. Il en dévoile également les raisons langagières : la distinction est méthodologique et inspirée par l’usage des mots, pour conclure avec Lévinas sur l’importance du discours dans la présentation du transcendant – et par extension dans la philosophie cartésienne.
Il est rare qu’un auteur ait la possibilité de répondre à la recension d’un de ses ouvrages. Je suis d’autant plus reconnaissant à l’IRASC de me l’avoir proposé que le compte rendu en question – qui comme le dit ce mystérieux DD « est moins une recension qu’une réflexion » – est d’une qualité exceptionnelle. Précis sur le fond, original dans la forme, très bien écrit (le goût immodéré de l’auteur pour les jeux de mots rend même la lecture divertissante), il pose de vraies questions et formule dans sa troisième section quelques objections auxquelles je vais réagir brièvement.
L’indéfini cartésien, qui désigne ce dont on ne peut prouver les bornes, s’applique à deux domaines : les mathématiques et la physique. Cet article examine son application au monde physique, en deux moments. D’abord, par l’examen de l’indéfinité de l’univers, où l’on montre que l’univers cartésien n’est ni fini ni infini, mais in-défini, à la fois selon l’espace (c’est la question de l’extensio mundi) et selon le temps (c’est la question de l’éternité du monde). Ensuite, par l’examen de l’indéfinité dans l’univers, qui pose le problème de la continuité, à la fois dans l’espace (c’est la question de l’indivisibilité de la matière, c’est-à-dire de l’existence des indivisibles, ou atomes) et dans le temps, où nous défendons une interprétation continuiste et aprioriste selon laquelle le temps cartésien est continu et cette continuité n’est jamais qu’un pour soi.
L’idée de l’infini est, chez Descartes, fort paradoxale : elle est à la fois la plus claire et distincte et la plus incompréhensible que l’on puisse avoir. Le paradoxe atteint même sa positivité, puisque l’in-fini s’énonce négativement. Ce problème a occupé de nombreux contemporains, et aujourd’hui encore certains interprètes y voient une contradiction au plus profond de la pensée cartésienne. Cet article expose le paradoxe de l’infini cartésien, puis montre comment Descartes l’avait déjà résolu et comment la postérité s’en saisira.
EnglishLa distinction que Descartes opère entre infini et indéfini est bien connue et a été abondamment commentée. On se trompe souvent, pourtant, sur la véritable nature de cet indéfini. La plupart des interprètes, du XVIIe siècle à nos jours, le réduisent à un infini en son genre, dont le genre serait l’étendue, qualifié notamment d’infini « en extension », « spatial », « négatif », « potentiel », ou « quantitatif ». Allant à l’encontre d’une telle interprétation, cet article montre que l’indéfini cartésien n’est à proprement parler ni infini, pas même en son genre, ni fini, et que sa véritable nature est l’indétermination.
EnglishIl y a trois manifestations de l’infini chez Descartes : l’infinité de Dieu, l’infinitude de ma volonté et l’indéfinité du monde physique et mathématique. Cet article est consacré à l’infinitude de ma volonté, c’est-à-dire à la contribution de la philosophie pratique à l’idée de l’infini. En trois parties, nous verrons comment l’homme, partant d’une déception du fini, aspire naturellement vers l’infini et que cette volonté d’infini signifie volonté infinie, tellement intime à l’idée de l’infini qu’elle l’est ; comment, ensuite, ma volonté est infinie, notamment parce qu’elle est en porte les signes paradoxaux (positivité et incompréhensibilité) ; comment, enfin, l’infinitude de ma volonté est la marque que Dieu m’a fait à son image, et qu’il est important, par conséquent, de ne pas confondre l’infinité de Dieu et l’infinitude de ma volonté.
EnglishTroisième et dernier volet d’une étude consacrée à la possibilité et l’existence chez Leibniz, cet article reconstruit en trois étapes l’évolution kantienne sur ces notions fondamentales, depuis la Nova dilucidatio (1755) jusqu’à la Kritik der reinen Vernunft (1781-7), en passant par le Beweisgrund (1763), afin, d’une part, de mettre en évidence ce que Kant doit directement à Leibniz et, d’autre part, de montrer comment et pourquoi seul le tournant critique a su arracher l’un à l’autre sur le chemin de la possibilité à l’existence, à travers une double rupture, à la fois épistémologique (le rôle de l’expérience) et ontologique (l’éclipse de Dieu).
EnglishPartant de la distinction aristotélicienne entre les trois piliers de l’argumentation, logos, ethos et pathos, nous proposons une analyse de l’argumentation cartésienne, telle qu’elle se dévoile dans l’intégralité de son œuvre et de sa correspondance. Le logos cartésien est fondé sur deux distinctions, logique et dialectique, analyse et synthèse, et par l’insuffisance de la démonstration appelle la persuasion. L’ethos cartésien est socratique : il se dévoile dans une scénographie platonicienne, il consiste notamment en une critique de l’érudition et de nombreux indices rappellent l’attitude de Socrate. Le pathos cartésien révèle un soin à la fois prédiscursif et discursif de l’auditoire, une rhétorique émotionnelle qui vise à toucher les sentiments du lecteur, et un jeu de la polémique qui manie l’art de la flatterie et de l’insulte. La conclusion, qui met en évidence la nature et le rôle de l’argumentation cartésienne vis-à-vis de sa philosophie, pose également la question de la sincérité de l’auteur, avant de livrer quelques suggestions herméneutiques.
EnglishLa question de l’infini cartésien est vaste et polymorphe, de la métaphysique à la philosophie des sciences en passant par la philosophie pratique. Mais c’est en mathématiques que l’attitude de l’auteur est la plus ambivalente et paradoxale, car il n’y a pas, chez Descartes, d’infini en mathématiques. Le but de cet article est d’analyser les manifestations et les raisons de cette prudence cartésienne. Pour ce faire, nous procédons en deux temps. D’abord, nous constatons l’absence d’infini en mathématiques à travers l’examen de l’infinitésimal. Ensuite, nous montrons qu’il n’y a, dans les mathématiques cartésiennes, qu’un indéfini, en discutant l’existence et le statut du « plus grand nombre ». Ce parcours dévoilera les deux motifs de la prudence cartésienne : la contrainte métaphysique et la rigueur méthodologique.
EnglishDeuxième volet d’une étude consacrée à la possibilité et l’existence chez Leibniz, cet article tente de reconstruire la conception leibnizienne de l’existence, notion fondamentale qui soutient toute l’ontologie de l’auteur et qui n’est pourtant ni clairement définie ni systématisée. En trois parties, nous établissons que l’existence leibnizienne est bien un degré de possibilité, un ajout, un complément, mais elle n’ajoute rien de nouveau. Elle n’est pas une perfection, mais une relation comparative de perfections entre elles. Elle n’est pas un prédicat réel, mais un prédicat logique. Elle se définit comme ce qui est distinctement senti, ce qui plaît à un esprit tout en ne déplaisant pas à l’esprit le plus puissant, et ce qui est le plus harmonique. La conception leibnizienne de l’existence a plusieurs couches, et à de nombreux égards préfigure déjà la position kantienne.
EnglishOn sait que l’ontologie leibnizienne trace, pour ainsi dire, le plus court chemin de la possibilité à l’existence. On mesure moins que cette ligne est parcourue d’étapes dont la première, assurément, est l’existentiabilité des possibles. Cet article examine d’abord la conception leibnizienne de la possibilité, à travers cinq définitions. Il analyse ensuite la nature et le rôle de cette existentiabilité, dans ses rapports à la possibilité d’une part et à l’existence elle-même d’autre part, pour finalement conclure sur l’existentialisme d’un auteur dont on souligne habituellement l’essentialisme. De cette manière, possibilité et existentiabilité permettent de redécouvrir à nouveaux frais tout un pan de la pensée de Leibniz.
EnglishConnaître la vie de Sade est une condition sine qua non pour comprendre son œuvre. Avant de dire quoi que ce soit sur lui, avant même d’ouvrir Justine, Juliette ou les Cent vingt journées, lisez deux choses : sa biographie (par Maurice Lever, c’est sans conteste la meilleure) et sa correspondance. Quiconque se lance honnêtement dans cette entreprise comprend très vite que, chez Sade, tout commence avec et par la prison, que tout tourne autour de la pénalité et de la justice.
Le « cogito, ergo sum » cartésien apparaît depuis quarante ans comme « inférence et performance » (J. Hintikka). Mais de quelle inférence s’agit-il précisément ? Pour le savoir, cet article poursuit deux objectifs : d’abord, montrer que la question pertinente à laquelle il s’agit de répondre ne concerne pas la relation logique interne qui lie le cogito au sum, et qui est une intuition, mais celle, externe, qui lie le « cogito, ergo sum » tout entier au « quicquid cogitat, est ». Ensuite, montrer que cette dernière relation est tout à la fois une induction et une déduction.
EnglishDe toutes les dichotomies historiques qui divisent la philosophie en différentes traditions protectionnistes, figure en bonne place – et au XXème siècle – celle qui oppose philosophie anglo-saxonne et philosophie continentale. Cet article tente de montrer comment certains des problèmes rencontrés par la traditionnelle épistémologie anglo-saxonne, construite sur la thèse standard qui définit la connaissance comme « Justified True Belief », peuvent être contournés si l’on redéfinit le Fait, la Vérité et, finalement, la Connaissance, à la lumière de la redéfinition de la Réalité opérée par W. Heisenberg dans le Manuscrit de 1942. Les trois parties que sont l’exposé de la thèse standard, sa critique et son alternative, auront ainsi deux enjeux : d’une part, inviter au dialogue entre traditions anglo-saxonne et continentale et, d’autre part, présenter un ouvrage d’Heisenberg relativement méconnu du monde anglo-saxon pour n’avoir pas encore été traduit en anglais.
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