L’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires est une pratique, érigée en doctrine, qui a reçu différentes appellations : intervention d’humanité au XIXe siècle, intervention humanitaire (humanitarian intervention) dans la tradition anglophone, « droit ou devoir d’ingérence » en France, « responsabilité de protéger » depuis quelques années. Cette multiplicité en fait l’une des questions internationales les plus confuses. Cet article interdisciplinaire (sciences politiques, droit, philosophie) offre une clarification terminologique qui défait le lien habituellement fait en France entre droit d’ingérence et responsabilité de protéger, renvoie dos à dos ces deux concepts et propose une terminologie alternative.
Au fil du temps et des contextes, on a utilisé différentes appellations pour désigner, plus ou moins correctement, cette pratique, érigée en doctrine : intervention d’humanité au XIXe siècle, intervention humanitaire (humanitarian intervention) dans la tradition anglophone, « droit ou devoir d’ingérence » en France, « responsabilité de protéger » depuis quelques années. La multiplicité des labels, pour nommer ce qui est simplement une intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires, trahit déjà la confusion dans laquelle se trouvent les observateurs, face à une réalité dont la gravité, l’ampleur et la complexité attirent autant qu’elles découragent.
Droit ou devoir d’ingérence ? Ingérence, assistance ou intervention ? Humanitaire ou d’humanité ? On trouve à peu près toutes les combinaisons : droit d’ingérence humanitaire, devoir d’assistance humanitaire, intervention humanitaire, intervention d’humanité, devoir d’ingérence, droit d’assistance, obligation d’assistance, devoir d’intervention, droit d’intervention, etc. Il y a vingt ans, Mario Bettati parlait d’« approximations sémantiques » [1]. L’ambigüité terminologique demeure, et elle s’est même accrue avec l’apparition du nouveau concept de responsabilité de protéger (abrégé R2P pour responsibility to protect) depuis 2001.
Les raisons de cette ambigüité sont multiples. L’importance des distinctions subtiles entre ingérence, intervention et assistance peine à être reconnue au-delà du cercle des juristes. Il y a aussi une volonté collective, plus ou moins consciente, d’éviter certaines connotations. Ainsi préfère-t-on souvent « assistance » à « intervention » ou « ingérence » pour des raisons purement psychologiques, les deux derniers mots renvoyant davantage à un référentiel colonialiste [2]. Le problème est que tous ces termes, que l’on utilise de manière interchangeable au gré de l’impact que l’on pense qu’ils ont sur l’opinion, n’ont en réalité pas le même sens. Et il y a également une volonté politique de faire passer pour de l’humanitaire ce qui ne l’est pas, volonté qui a tout intérêt à conserver au concept d’intervention humanitaire une extension lâche et floue, afin de mieux pouvoir l’appliquer à des situations diverses. L’ambigüité terminologique est un problème pour les juristes, mais une aubaine pour les politiques.
Pourquoi faudrait-il clarifier les termes du débat ? Après tout, l’ambiguïté subsiste parce qu’elle est profitable – à certains – et la controverse sémantique n’intéresse guère les promoteurs des formules les plus populaires. Bernard Kouchner, par exemple, simplifie grandement le problème lorsqu’il déclare : « Kofi Annan préfère au ‘droit d’ingérence’ la formule d’ ‘intervention humanitaire’. Le Conseil de Sécurité parle de la ‘responsabilité de protéger’. C’est la même chose » [3]. Non, ce n’est pas la même chose, et la distinction est importante, comme nous allons le voir.
Il faut clarifier les termes du débat parce que c’est cette ambiguïté qui permet l’abus du label humanitaire, son usage prétextuel dont les exemples de l’Irak, mais aussi de la Géorgie, ont montré les ravages. Bien entendu, cette clarification conceptuelle ne résoudra pas tous les problèmes. Ce n’est pas parce que l’on utilise les bons mots ou que l’on sait un peu plus précisément ce qu’ils désignent que l’on ne peut plus abuser d’eux, mais cela contribue à poser des bases saines, préalables à toute discussion.
L’intervention d’humanité – expression apparue au milieu du XIXe siècle dans l’Europe francophone pour désigner les interventions des puissances européennes dans l’Empire Ottoman entre 1827 et 1908 pour protéger des minorités, notamment chrétiennes – appartient au passé. L’intervention humanitaire, au sens anglais de humanitarian intervention, qui reste encore aujourd’hui l’expression la plus utilisée dans le monde pour désigner l’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires, pose de très nombreux problèmes dont on a donné un aperçu ailleurs [4] et qui ne peuvent pas être traités ici. Cet article se limite donc aux deux autres expressions : il défait le lien habituellement fait en France entre droit d’ingérence et R2P, en expliquant pourquoi cette revendication de paternité ne fonctionne pas. Il critique également ces deux concepts : le droit ou devoir d’ingérence, qui n’existe pas dans les faits et mérite donc le titre de « mythologie française » [5], et la R2P, qui n’a pas davantage de réalité. Il propose pour finir une terminologie alternative afin de désigner de manière plus adéquate cette constante des relations internationales qu’est l’intervention militaire en situation de violations graves et massives des droits de l’homme.
I- Le droit ou devoir d’ingérence
L’expression « droit d’ingérence » n’est pas apparue, contrairement à ce qu’on dit souvent, dans les années 1980. On préférait parler au XIXe siècle du « droit d’intervention » mais, les deux termes étant souvent utilisés comme des synonymes, on parlait déjà de « droit d’ingérence » en 1835 [6] et, dans le sens technique qui nous occupe ici, au moins à partir de 1885 [7].
L’expression « devoir d’ingérence », plus récente, est apparue en 1979 sous la plume de Jean François Revel, au sujet des victimes de deux tyrans africains, Bokassa (Centrafrique) et Amin (Ouganda). Il s’agissait alors de justifier une exception au principe de non-ingérence qui, selon l’auteur, ne serait applicable qu’aux démocraties et, pour les autres régimes, serait « synonyme de non-assistance à personne en danger » [8]. C’est donc d’un parallèle avec le délit de non-assistance à personne en danger du droit français (article 223-6 du code pénal), extrapolé à l’échelle internationale, qu’est apparue la défense de l’ingérence humanitaire, présentée comme un devoir d’assistance à peuple en danger.
La notion est développée lors du fameux colloque « Droit et morale humanitaire » organisé les 26-28 janvier 1987 par Mario Bettati et Bernard Kouchner, à l’issue duquel est adoptée une résolution sur le droit à l’assistance humanitaire. Jacques Chirac, premier ministre, et François Mitterrand, président, y participent. « C’est la France qui a pris l’initiative de ce nouveau droit assez extraordinaire dans l’histoire du monde, insiste Mitterrand, qui est une sorte de droit d’ingérence à l’intérieur d’un pays lorsqu’une partie de sa population est victime d’une persécution » [9]. « C’est la France qui a inventé ce droit d’ingérence », répète Kouchner, qui dit avoir « pensé l’ingérence au Biafra entre 1968 et 1979 » en tant que fondateur de Médecins sans Frontières.
Il est nommé secrétaire d’Etat chargé de l’action humanitaire en juin 1988 et nomme son ami Bettati comme chargé de mission. Ils préparent en septembre un projet de résolution sur le droit d’assistance humanitaire à soumettre à l’Assemblée générale de l’ONU. Mitterrand le défend à la tribune de New York le 29 septembre 1988 [10]. Il est à l’origine des résolutions 43-131 du 8 décembre 1988, 45-100 du 14 décembre 1990, et 688 du Conseil de sécurité du 5 avril 1991. Kouchner fait partout la promotion de « ce droit d’ingérence qui fait peur à certains et que tout le monde bientôt acceptera » [11]. C’était en 2000. Bien peu, en vérité, l’acceptent et, dix ans plus tard, on peut dire que le concept est tombé en désuétude. A juste titre, puisque cette notion est formidablement ambiguë.
Une formule ambiguë
Les deux expressions, « droit » ou « devoir » d’ingérence, sont utilisées indifféremment, y compris par leurs promoteurs. On dit que le « droit d’ingérence » est né lors de la conférence de janvier 1987, dont les actes ont été publiés la même année sous le titre Le devoir d’ingérence. Dans une préface sur « le devoir d’ingérence », Kouchner fait un plaidoyer pour le « droit d’intervention humanitaire », et dans son article intitulé « Un droit d’ingérence humanitaire ? », Bettati exige « un droit à l’assistance humanitaire », sans jamais qu’il soit question d’ingérence. Cette conférence sur « le devoir d’ingérence » est marquée par l’adoption d’une résolution « sur la reconnaissance du devoir d’assistance humanitaire et du droit à cette assistance » [12]. La confusion du lecteur est totale : droit ou devoir ? Ingérence, intervention ou assistance ? On passe d’une formule à l’autre sans explication. Tous ces termes sont-ils donc synonymes ?
La première ambigüité consiste donc à confondre le droit et le devoir, alors qu’il s’agit évidemment de deux choses très différentes. Le droit d’ingérence permettrait à l’État de violer la souveraineté d’un autre État pour prévenir ou mettre fin à un massacre imminent ou en cours. Le devoir d’ingérence l’obligerait à le faire. Il serait donc plus contraignant. Parler d’un « droit d’ingérence », c’est considérer l’ingérence comme une possibilité légitime (droit naturel) ou légale (droit positif). Parler d’un « devoir d’ingérence », c’est considérer l’ingérence comme une nécessité, un impératif, un bien obligatoire.
L’ingérence est une immixtion sans titre, c’est-à-dire sans droit. Littéralement, le droit d’ingérence est un non-sens, une contradiction dans les termes : il est le droit de s’immiscer sans droit, le droit de faire ce que l’on n’a pas le droit de faire. Le Dictionnaire de l’Académie française formule d’ailleurs l’avertissement suivant : « c’est abusivement qu’on use des termes Droit d’ingérence, Devoir d’ingérence, qui sont contraires au principe ci-dessus rappelé [le principe de non-ingérence, qui est l’un des fondements du droit international]. On ne peut parler correctement que du Droit d’assistance ou du Devoir d’assistance ».
La deuxième ambigüité consiste à confondre l’ingérence et l’assistance ou l’aide, qui est une opération visant à procurer des secours aux victimes, par exemple des denrées alimentaires, des soins médicaux, etc. L’ingérence, au contraire, lorsqu’elle est comprise au sens matériel strict et non métaphorique (sans quoi une lettre, une protestation, un communiqué de presse sont des ingérences), implique un recours à la force armée, ce qui est tout à fait autre chose. Au regard du droit international, l’assistance est licite, mais l’ingérence ne l’est pas. La confusion entre intervention et assistance est d’autant plus regrettable aujourd’hui qu’elle était déjà dénoncée en 1894 : « la différence consiste dans les moyens employés, non dans le but poursuivi. L’intervention suppose la contrainte, l’assistance implique le consentement » [13].
Le devoir d’assistance est une obligation de porter secours qui, pour l’instant du moins, n’a pas d’existence claire en droit positif. Le droit d’assistance humanitaire, en revanche, qui est un droit de libre accès aux victimes d’un conflit armé pour leur porter secours, existe dans le droit positif de deux manières, avec le consentement des parties (article 70 du protocole additionnel I de 1977), ou sans lui car le Conseil de sécurité peut rendre l’assistance obligatoire (résolutions 752 et 770). Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale, à l’initiative de la France, invitent les États qui en ont besoin à faciliter la mise en œuvre de l’assistance humanitaire (43/131, 45/100, 46/182), mais sans jamais affecter leur souveraineté, c’est-à-dire sans que cette assistance implique une ingérence ou une intervention. Il n’y a donc rien de tel qu’un droit d’ingérence humanitaire dans le droit international actuel. Il y a, en revanche, l’émergence et l’essor d’un droit d’assistance humanitaire.
La distinction entre ingérence et assistance est importante, et Mitterrand ne l’ignorait pas : tout en défendant le devoir d’assistance humanitaire à la tribune de l’ONU, il répondait à Kouchner, son secrétaire d’Etat chargé de l’action humanitaire (qui, lui, confondait et confond toujours les deux concepts) : « le droit d’ingérence n’existe pas » [14].
La troisième ambiguïté est que l’on ignore si l’on parle d’un droit existant ou d’un droit souhaité [15], c’est-à-dire d’un droit juridique ou d’un droit seulement moral. Ses promoteurs, relayés par des médias enthousiastes, invoquent ce « droit » comme s’il existait effectivement, au même titre, par exemple, que le droit de la responsabilité civile. Il y a toujours cette confusion dans le discours de Kouchner : est-ce quelque chose qui existe déjà ou que l’on devrait faire ? Dans un article de 1999, intitulé « The Right to Intervention : Codified in Kosovo », il écrit à la fois que ce droit doit être établi et qu’il l’est déjà en vertu des résolutions onusiennes [16]. En réalité, le Kosovo n’a rien codifié et les résolutions onusiennes, répétons-le, établissent un éventuel droit d’assistance humanitaire avec le consentement de l’Etat cible mais certainement pas un droit d’ingérence ou d’intervention armée sans son consentement.
Une construction mythologique
Il y a donc un gouffre entre la représentation commune du droit d’ingérence en France et la réalité, qui montre à quel point l’on a affaire à une construction mythologique dans laquelle les médias ont une responsabilité certaine. Ils lui donnent une nation (la France et seulement elle), des pères (Kouchner et Bettati, systématiquement présentés comme ses « inventeurs »), une date de naissance (les années 1980), un mythe fondateur (Cassin résistant à « Goebbels affirmant devant la Société des nations que "charbonnier est maître chez lui" ») et une influence exagérée (une « théorie qui a bouleversé les relations internationales ») [17]. De quoi imprégner durablement l’imaginaire national.
Mais tout cela est faux : l’idée du droit d’ingérence n’est ni récente ni française [18], l’expression elle-même a au moins un siècle et demi, Cassin s’est certes opposé à Goebbels mais pas davantage que ses collègues polonais, norvégien et tchécoslovaque et, loin de bouleverser les affaires du monde, la notion de droit d’ingérence est au contraire restée très francophone. Elle « n’est guère populaire qu’en France, observe Védrine. Ailleurs, on s’en méfie ou on parle d’"intervention humanitaire" » [19]. Dans le monde anglophone, ce « right » ou « duty to interfere » à la française fait assez peu parler de lui, si ce n’est pour dire qu’il s’agit d’un « débat intellectuel parisien lourdement personnalisé, apparemment insulaire et d’une nature effectivement incestueuse » [20].
II- La responsabilité de protéger
La redéfinition de la souveraineté comme responsabilité n’est pas nouvelle. Dans la lignée de la souveraineté conditionnelle du XIXe siècle [21], elle est développée dans les années 1990 par Francis Deng, représentant du Secrétaire général sur les personnes déplacées de 1992 à 2004 [22]. L’idée est popularisée en 1999 par l’article fameux de Kofi Annan, « deux concepts de la souveraineté » [23], et devient ce qui est parfois appelé la « doctrine Annan », selon laquelle la souveraineté ne constitue plus un rempart derrière lequel peuvent se commettre toutes les exactions.
Le gouvernement canadien met alors sur pied, en septembre 2000, une Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), qui dépose un an plus tard son rapport intitulé La responsabilité de protéger. Renvoyant dos à dos les expressions classiques d’« intervention humanitaire » et de « droit d’intervention », cette dernière étant même qualifiée de dépassée et inutile, la Commission préfère parler d’une « responsabilité de protéger ». Quelle différence cela fait-il ?
Premièrement, toute formulation en terme de droit (d’intervention, d’ingérence) est davantage tournée vers l’Etat intervenant que vers les victimes de l’Etat cible. La R2P, au contraire, « implique une évaluation des enjeux du point de vue de ceux qui demandent ou nécessitent un soutien, et non de ceux qui envisagent éventuellement d’intervenir » [24].
Deuxièmement, parler d’intervention ou d’ingérence revient à se concentrer sur l’acte lui-même, donc négliger ce qui le précède et ce qui lui succède, c’est-à-dire la prévention et la reconstruction – qui jouent pourtant un rôle fondamental dans le succès ou l’échec de l’intervention elle-même. La R2P est « non seulement la responsabilité de réagir à une catastrophe humaine effective ou redoutée, mais aussi la responsabilité de la prévenir et la responsabilité de reconstruire après l’événement » [25].
Troisièmement, la formulation traditionnelle est basée sur une confrontation entre intervention et souveraineté, tandis que la R2P est conçue davantage comme « un concept-lien, qui jette un pont » entre eux [26]. La formulation traditionnelle a même un biais favorable à l’intervention, contre la souveraineté, « dans la mesure où toute contestation dont elle fait l’objet tend à acquérir le label délégitimant d’antihumanitaire » [27].
Le principe figure aux articles 138-139 du document final du Sommet mondial de l’ONU des 14-16 septembre 2005, qui affirment notamment que « C’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité » (§138) et qu’ « Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’ONU, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, (…) afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, (…) lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations » (§139) [28].
Les dispositions des paragraphes 138-139 ont depuis été « réaffirmées » dans trois résolutions du Conseil de sécurité [29]. L’objectif de l’ONU est désormais de « mettre en œuvre » la R2P, comme l’annonce le titre d’un rapport du Secrétaire général en janvier 2009 [30], et l’Assemblée générale passe sa première résolution sur le concept à l’automne de la même année [31]. Depuis, Ban Ki-Moon répète régulièrement qu’il faut faire en sorte de passer « de la promesse à la pratique » ou « des mots aux actes » [32]. Il a d’ailleurs nommé Deng au poste de Conseiller spécial pour la prévention du génocide en 2007, avec un rang de Secrétaire général adjoint, et créé un poste de « Conseiller spécial chargé d’étudier les aspects théoriques, politiques et opérationnels de la responsabilité de protéger les populations » en 2008, auquel il nomme Edward Luck.
Une autre mythologie française : la R2P n’est pas le droit d’ingérence
En ouverture d’un colloque de la SFDI consacré à la R2P, Bettati déclare qu’elle « n’est pas autre chose que le nouveau nom du "droit d’ingérence" » [33]. Un an plus tard, l’ambassadeur de la France aux Nations Unies répond à un journaliste que « la France connaît bien le concept de R2P : nous l’avons inventé avec Bernard Kouchner il y a 20 ans, en 1988 » [34]. Il ne fait que répéter ce que Kouchner martèle lorsqu’il annonce, le même jour, que la France souhaite invoquer la R2P dans le cas de la Birmanie, qui vient d’être dévastée par le cyclone Nargis. Il invoque « le droit d’ingérence, devenu responsabilité de protéger » [35] et revendique cette R2P « initiée par la France » [36]. Kouchner sait pourtant que la notion est sortie d’un rapport de la CIISE en 2001 – une commission internationale qui ne comptait dans ses rangs aucun Français –, mais il semble convaincu qu’elle s’est contentée de recycler « son » fameux droit d’ingérence. Trois ans plus tard, la même équivalence est avancée lorsqu’il s’agit de commenter la R2P en Libye : « C’est le droit d’ingérence qui a juste changé de nom pour sembler moins agressif » [37], répète Bettati. Kouchner n’est plus au Quai d’Orsay mais Sarkozy et Juppé présentent la R2P comme « un concept français ». Une journaliste du Monde parle à juste titre d’un storytelling national [38].
Le problème est que les politiques ne sont pas seuls à raconter cette belle histoire. Des experts en relations internationales y contribuent, comme François Heisbourg qui présente la R2P comme « la formulation onusienne du droit d’ingérence » [39], et surtout les médias eux-mêmes qui renforcent dans l’imaginaire national cette conviction que la R2P n’est pas autre chose que le « nouveau nom du devoir d’ingérence » [40], ou sa « traduction juridique » [41] – une double confusion, puisque la R2P n’est la traduction juridique de rien, et certainement pas du devoir d’ingérence, auquel elle s’oppose explicitement. C’est donc même un contresens.
Ceux qui participent à cette construction mythologique font en réalité deux erreurs. Premièrement, ils confondent deux choses différentes, puisque la R2P est beaucoup plus large que la notion d’ingérence. D’abord, il ne s’agit pas seulement d’intervenir mais, insistait la CIISE, de prévenir, intervenir et reconstruire. Ensuite, l’intervention le cas échéant n’est pas nécessairement militaire, elle ne l’est même qu’en dernier recours. Dans son rapport de 2009 sur la mise en œuvre de la R2P, le Secrétaire général identifie trois « piliers » et l’intervention militaire ne concerne que le troisième, intitulé « Réaction résolue en temps voulu », pas les deux premiers, qui sont respectivement « Les responsabilités de l’Etat en matière de protection » et « Assistance internationale et renforcement des capacités » [42]. On ne peut pas dire que la R2P est le « nouveau nom » du droit d’ingérence dès lors qu’ils n’ont pas la même extension.
Deuxièmement et surtout, c’est ignorer ou passer sous silence le fait que la R2P s’est construite non seulement sans l’apport du droit d’ingérence [43], mais même contre lui et l’autre expression traditionnelle, l’intervention humanitaire. Sa raison d’être n’est pas de leur rendre hommage ou de les prolonger, mais de les remplacer, parce que la CIISE estime que ces deux formules classiques souffrent de trop nombreux défauts [44]. Thakur, l’un des membres de la Commission, rappelle que « Monsieur Kouchner est l’un de ces "guerriers humanitaires" impénitents qui ont tellement nuit à l’image de l’intervention humanitaire que nous avons dû [la] reformuler dans l’expression plus consensuelle et politiquement défendable de R2P » [45]. Lorsque Kouchner propose, le 7 mai 2008, une résolution au Conseil de sécurité pour intervenir de manière contraignante en Birmanie, invoquant la R2P, la proposition est rejetée. Edward Luck l’accuse alors de détourner le concept, de lui donner une « application erronée » pour « faire les gros titres », et d’avoir causé « des dégâts considérables au sein de l’ONU » [46]. Comment peut-on encore affirmer sans rougir, aujourd’hui en France, que la R2P n’est pas autre chose que le nouveau nom de ce contre quoi elle s’est précisément construite ?
Quelle responsibilité ?
Le reproche le plus fondamental que l’on puisse faire à la R2P est que, comme le droit d’ingérence, elle décrit quelque chose qui n’existe pas. En principe, une responsabilité est une obligation. Elle n’implique pas de pouvoir intervenir quand ça nous arrange, mais de devoir le faire. Or, où est-il, ce devoir ? En quoi consiste-t-il ? Et à qui s’adresse-t-il exactement ?
Il est, pour commencer, totalement absent du rapport de 2001. La CIISE a fait le choix d’un terme ambigu, « responsabilité », utilisé comme un euphémisme pour éviter de parler de devoir. Pourtant, n’est-ce pas la même chose ? Que signifie la responsabilité de protéger, si ce n’est le fait d’avoir un devoir de protéger ? [47] Le rapport de la CIISE, qui dans son titre parle d’une responsabilité, n’explique ni ne justifie nulle part en quoi l’intervention serait une responsabilité, donc un devoir, plutôt qu’une simple permission, un droit [48].
Quatre ans plus tard, la version onusienne est encore plus faible. Les promoteurs du concept présentent souvent les articles 138-139 de 2005 comme une consécration, lui donnant une existence juridique. En réalité, le passage du rapport de 2001 au Sommet mondial de 2005 est tout le contraire d’une promotion : c’est une dévaluation du concept. La Chine, la Russie et plusieurs Etats du G77 et du mouvement des non-alignés avaient tout fait dans les négociations pour réduire sa portée, et les Etats-Unis n’étaient pas en reste. John Bolton, l’ambassadeur américain à l’ONU, avait été très clair dans sa lettre du 30 août 2005, pour épurer le texte final de toute référence à une obligation juridique : « l’obligation/responsabilité dont il est question dans le texte n’est pas juridique (…). Nous n’acceptons pas que l’ONU en tant que tel, ou le Conseil de sécurité, ou les Etats individuels, aient une obligation d’intervenir selon le droit international » [49]. Il obtient gain de cause.
Reprenons les articles 138-139. Que disent-ils exactement de la « responsabilité » ? Qu’elle incombe d’abord à l’Etat sur le territoire duquel les exactions ont potentiellement lieu (art. 138). Jusqu’ici, rien de nouveau : cette responsabilité interne, celle qu’a l’Etat de protéger ses propres citoyens, existe depuis la Convention contre le génocide de 1948. La responsabilité qui nous intéresse, celle qu’on attend, est la responsabilité externe de la société internationale, celle qui permettrait – ou, mieux, obligerait – les Etats tiers à agir. C’est celle-ci que Bolton ne voulait pas voir dans le document final, et elle ne s’y trouve pas. L’article 139 indique que les Etats se disent « prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité », à certaines conditions. Etre prêt à faire quelque chose, ce n’est pas devoir le faire. Où est donc la responsabilité de protéger qu’on annonçait ? Fallait-il toute cette agitation pour affirmer ce que l’on sait déjà depuis longtemps, que le Conseil de sécurité peut autoriser une intervention « en vertu du chapitre VII » ? Qu’y a-t-il de nouveau dans ces deux paragraphes ? Strictement rien qui ne soit pas déjà dans la Charte [50].
Le Conseil de sécurité n’a en effet pas attendu la R2P pour justifier des interventions militaires par des raisons humanitaires. Il l’a fait en Somalie (rés. 794 de 1992), à Haïti (rés. 940 de 1994), au Rwanda (rés. 929 de 1994), en Bosnie-Herzégovine (rés. 836 de 1993, 1031 de 1995, 1088 de 1996), en Albanie (rés. 1101 de 1997) et au Timor oriental (rés. 1264 de 1999) – autorisant à chaque fois l’utilisation de « tous les moyens nécessaires » pour permettre la livraison de l’assistance humanitaire ou garantir la mise en œuvre d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix. L’apparition du concept de R2P n’a de ce point de vue rien changé puisque la tendance « s’est dessinée il y a près de 20 ans » [51]. Elle s’est également manifestée pour la Côte d’Ivoire (rés. 1933 de 2010 et 1975 de 2011), où l’ONUCI et les forces françaises sont autorisées « à utiliser tous les moyens nécessaires » pour « assurer la protection des civils », et en Libye (rés. 1973 de 2011), dans les mêmes termes. On peut donc avoir du mal à distinguer ce que serait une réponse « avec R2P » à une crise humanitaire, d’une réponse « sans R2P » – et du même coup à voir la valeur ajoutée de la R2P [52].
La résolution 1973 est toutefois originale pour une raison : c’est la première fois que le Conseil de sécurité autorise une intervention militaire pour des raisons humanitaires sans le consentement d’un Etat fonctionnel [53]. Dans les cas précédents, soit l’Etat était consentant, soit il n’y avait pas d’Etat, soit il n’était pas fonctionnel. Mais, d’un point de vue juridique, cela ne change rien puisque le consentement de l’Etat cible est indifférent à une résolution passée sous Chapitre VII. C’est ce qu’oublient ceux qui, comme Bellamy [54], la décrivent comme historique, unique ou exceptionnelle.
On a beaucoup dit que cette résolution 1973 était basée sur la R2P et marquait même son « baptême du feu » [55]. L’intervention en Libye en 2011 n’est pas seulement la première intervention « humanitaire » classique depuis le Kosovo, après une décennie d’éclipse due à la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme : c’est aussi la première de ce que ses promoteurs appellent « l’ère R2P », depuis le rapport de la CIISE de 2001 et le Sommet mondial onusien de 2005. Elle est donc susceptible d’être perçue comme « un test pour la doctrine » [56].
C’est ainsi que la résolution 1973 est présentée dans les médias – mais jamais citée. Et pour cause : la seule responsabilité dont il est question dans cette résolution est celle, interne, « qui incombe aux autorités libyennes de protéger la population libyenne », non celle, externe et subsidiaire, qui incomberait à la « communauté internationale » d’intervenir. La partie de la R2P mobilisée dans la résolution 1973 est donc celle qui existe dans le droit international depuis la Convention contre le génocide de 1948. Si la R2P, entendue comme responsabilité externe de la « communauté internationale », était la norme que ses promoteurs disent qu’elle est, le Conseil de sécurité l’aurait invoquée explicitement. Il ne l’a pas fait. C’est la preuve que « certains membres du Conseil de sécurité contestent toujours que cette notion puisse être une raison appropriée d’agir militairement » [57].
Revenons aux articles 138-139. Non seulement ils n’apportent rien de nouveau, mais on peut même dire qu’ils dévaluent et affaiblissent le concept de R2P, en étant moins audacieux que le rapport de 2001. Premièrement, l’idée d’un « code de conduite » – usage raisonné ou limité du droit de veto en situation de catastrophe humanitaire – que proposait le Groupe de personnalités de haut niveau est abandonnée. Deuxièmement, l’objectif initial était que la R2P soit activée lorsque l’Etat sur le territoire duquel la catastrophe humanitaire a lieu ne peut pas ou ne veut pas agir. Dans la version anglaise du document onusien, on parle de « manifest failure » (échec manifeste) – l’expression est plus forte. Elever le seuil à partir duquel la responsabilité internationale est activée revient à affaiblir le concept.
Troisièmement, on parlait initialement de responsabilité « collective ». En 2005, il est question d’une responsabilité « onusienne » par l’intermédiaire du Conseil de sécurité, qui exclut donc toute alternative – à laquelle la CIISE ne renonçait pas. Dans les faits, pourtant, la question se posera. Et les articles 138-139, contrairement la CIISE, l’ignorent superbement : ils se gardent bien de répondre « à la question fondamentale de ce qu’il faudrait faire si le Conseil de sécurité n’a ni la capacité ni la volonté d’autoriser l’usage de la force pour empêcher une tragédie humanitaire » [58].
Quatrièmement, la référence explicite au chapitre VII donne du muscle au texte mais en même temps implique que ce n’est pas la violation des droits de l’homme par un Etat qui en soi active l’usage de la force mais le fait qu’elle menace la paix et la sécurité [59]. Cela réduit donc les chances que le texte soit appliqué puisqu’il ne faut pas seulement qu’il y ait une catastrophe humanitaire, il faut encore prouver qu’elle constitue une menace à la paix et à la sécurité.
Il y a donc eu d’importantes concessions [60], pour aboutir à ce que certains appellent une « R2P allégée » [61]. Il y a peu de sens, dans ces conditions, à parler d’une « responsabilité de protéger ». Car on parle d’un concept sans dents, qui n’a pas les moyens de ce qu’il annonce ; qui n’est pas ce qu’il semble être ; et qui est alors éminemment trompeur. « La notion n’a jamais été juridique, mais plutôt politique et, surtout, rhétorique » [62]. Elle est une innovation seulement terminologique [63]. Les changements de mot n’ont jamais rien changé. Déjà, en 1991, à l’Assemblée générale, l’URSS notait que les réticences à l’égard de « l’intervention humanitaire » pouvaient être levées en la renommant tout simplement « solidarité humanitaire » [64]. C’est un peu ce déplacement que, dix ans plus tard, la R2P propose : cela ne règle pas les problèmes.
Un mot dont on évacue le contenu, et qui n’est choisi que pour ses qualités « commerciales » mérite le nom de slogan [65]. La R2P est à l’échelle mondiale ce que le droit d’ingérence a été à l’échelle francophone : un concept plus ou moins vide de sens, mais doté d’un potentiel marketing élevé, et défendu par des promoteurs efficaces.
Quel effet normatif ?
D’un côté, donc, les promoteurs de la R2P la présentent comme une révolution juridique ou, à tout le moins, une étape normative considérable [66], en faisant preuve parfois d’une naïveté déconcertante. De l’autre, ses critiques les plus sévères la réduisent à un simple slogan. Ce scepticisme à l’égard de la R2P, dont nous faisons preuve, n’est pas original : c’est une attitude presque consensuelle dans les milieux juridiques, où l’on déduit souvent du fait que la R2P n’impose aucune nouvelle obligation réelle sur les Etats et les organisations qu’elle n’a aucun effet normatif [67].
Entre les promoteurs naïfs et les critiques cyniques, certains défendent une troisième voie. Sans nier la nature davantage politique que juridique de la R2P, ni le fait qu’elle n’impose aux Etats aucune obligation contraignante, ils estiment que la notion n’est pas pour autant « dénuée de contenu juridique » [68]. Tout en reconnaissant que les articles onusiens de 2005 n’ont pas créé de « nouveau droit », ils estiment qu’ils ont contribué à clarifier le droit existant et, ce faisant, à « renforcer l’humanitarisme global » [69]. Tout en reconnaissant que la R2P « n’impose aucune nouvelle obligation aux Etats ou à l’ONU pour agir dans des situations de crise humanitaire », et qu’elle n’est donc « pas une forme de droit qui impose des devoirs à des sujets » [70], Orford estime qu’elle représente malgré tout « l’un des changements normatifs les plus significatifs dans les relations internationales depuis la création de l’ONU en 1945 » [71].
« Le vocabulaire de la ‘responsabilité’, explique-t-elle, fonctionne ici comme un langage pour conférer une autorité et répartir les pouvoirs plutôt que comme un langage pour imposer des obligations contraignantes et se faire obéir » [72]. Mais n’est-ce pas, alors, un détournement du mot ? A quoi bon parler encore de « responsabilité » si ce n’est pas pour désigner une obligation quelconque – qu’elle soit juridique ou « seulement » morale ? On ne peut pas, d’un côté, utiliser ce mot pour donner l’impression que la « communauté internationale » a fait un pas en avant considérable en « s’engageant », c’est-à-dire en se donnant l’obligation morale d’intervenir le cas échéant, et de l’autre vider le mot de son sens habituel pour le remplacer par un vague discours sur l’autorité. Ce serait de la falsification.
On peut donc reconnaître à la R2P un effet normatif – dans le sens où elle constitue une couche de plus dans la lente construction d’une norme interventionniste – mais de deux choses l’une : soit on persiste à l’appeler « responsabilité » et il faut alors préciser la nature de ce qui est, par définition, une obligation ou un devoir. Il ne s’agit pas ici d’être légaliste, on peut très bien envisager une obligation non contraignante mais il faut l’expliquer. Soit on la vide de son sens, en prétendant qu’elle n’est pas un discours sur l’obligation ou le devoir mais autre chose, et alors, pour être cohérent, il faudrait renoncer à l’appeler « responsabilité ». En attendant, on peut avoir l’impression qu’« il y a un désir de conserver la marque "responsabilité de protéger/R2P" tout en changeant radicalement son contenu » [73].
L’effet normatif de la R2P relève du « droit mou » (soft law). S’il faut reconnaître au concept le double mérite de rappeler aux Etats leurs obligations juridiques et de « catalyser la réforme et l’innovation de l’architecture internationale en matière de protection » [74], il faut aussi souligner qu’il ne crée pas d’obligation nouvelle et reste soumis aux rapports de force qui caractérisent la société internationale. Cela est bien résumé par l’ambassadeur du Brésil à l’ONU en 2009 : la R2P « n’est pas un principe à proprement parler, encore moins une nouvelle disposition juridique. Elle est plutôt un appel politique puissant à tous les Etats, pour qu’ils respectent les obligations juridiques déjà inscrites dans la Charte, les conventions des droits de l’homme (…) et les autres instruments pertinents » [75].
La R2P n’est donc pas autre chose qu’un appel politique et, d’un point de vue réaliste, on peut en déduire au moins deux faiblesses. La première tient à sa nature d’appel : elle présume que la pression morale a la capacité de changer le comportement des Etats. Une « croyance idéaliste » selon Hehir, qui rappelle que les nombreux appels du même genre depuis 1945 – en particulier les vibrants « plus jamais ça ! » – « n’ont pas été d’une très grande utilité en pratique. Cela ne signifie pas que les Etats sont immunisés contre les appels émotifs mais plutôt que les décisions en matière d’emploi de la force pour défendre des non-nationaux à l’étranger seront invariablement et dans une large mesure basés sur des questions d’intérêt national » [76].
C’est exact, mais les deux ne sont pas nécessairement incompatibles puisque l’intérêt national inclut aussi l’image de soi, celle que l’on veut projeter sur la scène intérieure comme à l’extérieur. Et cette image, pour des raisons autant identitaires qu’instrumentales, peut intégrer la défense des droits de l’homme. Il ne s’agit pas, autrement dit, d’une « croyance idéaliste » : la pression morale a dans une certaine mesure la capacité de changer le comportement des Etats parce que les Etats comprennent qu’il est de plus en plus dans leur intérêt de paraître moraux.
La seconde faiblesse de cet appel politique tient à sa nature politique : la R2P dépend entièrement de la volonté des Etats – ce que ses promoteurs reconnaissent volontiers [77]. Les décisions d’intervenir, admet Bellamy, « continueront d’être prises de manière ad hoc par des dirigeants politiques pesant les intérêts nationaux, les considérations juridiques, l’opinion mondiale, les coûts envisagés et les élans humanitaires – comme elles l’étaient avant l’apparition de la R2P » [78] (ce qui réfute absolument son caractère soi-disant révolutionnaire et relativise à tout le moins son apport voire sa raison d’être).
L’effet pervers du devoir
A l’exception d’une minorité parlant d’un « devoir d’intervenir », et de ceux qui en France confondent le devoir et le droit d’ingérence, la plupart des interventionnistes défendent un droit. Cela a plusieurs avantages, dont celui de justifier la sélectivité, c’est-à-dire le fait d’intervenir au Kosovo mais pas en Tchétchénie, au Timor mais pas au Tibet, en Libye mais pas en Syrie. Si l’intervention était un devoir, il serait plus difficile d’expliquer pourquoi les raisons qui nous obligent ici ne nous obligent plus là, lorsque les deux situations sont similaires.
Parler de « responsabilité de protéger » est de ce point de vue beaucoup plus problématique, puisque cela déplace le débat sur le terrain du devoir. On peut toujours nuancer en distinguant, avec Kant, des devoirs parfaits et imparfaits : certains estiment que le devoir d’intervenir est parfait, c’est-à-dire réellement obligatoire, au sens où il est interdit de ne pas l’accomplir [79] ; d’autres qu’il est imparfait, c’est-à-dire souhaité mais pas obligatoire, comme l’est par exemple le devoir de charité. Les premiers, qui défendent donc un devoir fort, présument souvent qu’il existe une obligation juridique d’intervenir. Ce n’est pas le cas : il n’y a aucune obligation juridique. Les seconds, qui défendent un devoir faible, réduisent le devoir à sa dimension méritoire : l’accomplir est louable, mais pas nécessaire.
L’une des raisons pour lesquelles le devoir d’intervenir est seulement imparfait est qu’il n’est pas attribué. L’intervention, explique Walzer, « est un devoir imparfait – un devoir qui n’appartient à aucun agent particulier. Quelqu’un doit intervenir, mais aucun Etat en particulier dans la société des Etats est moralement contraint de le faire » [80]. Ce problème de l’agence (agency), que les plus critiques estiment « insurmontable » [81], est sérieux car, pour être efficace – pour être réel même –, un devoir a besoin d’un agent. C’est ce que Tan appelle la « condition de l’agence » : un devoir ne peut être actualisé que par un agent particulier [82]. Si la R2P est un devoir, elle est donc un devoir sans agent, qui ne peut pas être actualisé. D’où les difficultés à passer de la théorie à la pratique, malgré les efforts du Secrétaire général depuis 2009.
C’est l’une des faiblesses du vocable de la R2P par rapport à celui de l’intervention : il implique l’existence d’une « communauté internationale » à laquelle se réfèrent les articles 138-139. C’est à elle, en principe, qu’est attribué le devoir d’intervenir. Mais comme elle n’existe pas, il n’est pas attribué en réalité. L’intervention, en revanche, est toujours celle d’Etats particuliers et a l’avantage de ne pas impliquer la notion de « communauté internationale ».
Un devoir non clairement attribué est en outre dangereux parce qu’il peut être revendiqué par n’importe qui n’importe quand pour intervenir lorsqu’il ne le faudrait pas ou, inversement, parce qu’il peut être évité par ceux qui ne voudraient pas intervenir lorsqu’il le faudrait. L’un des effets pervers de cette responsabilité diffuse est effectivement d’encourager l’inaction. Le corollaire, du point de vue des victimes, étant qu’elles ne jouissent pas, elles, du droit d’être protégées et qu’elles ne peuvent pas invoquer une quelconque obligation de la « communauté internationale » pour réclamer de l’aide [83]. La R2P ne génère aucun devoir strict d’intervenir : au mieux elle prévoit un droit de le faire, qui est un « droit-liberté », pas un « droit-créance » [84].
Un autre effet est d’être sensible à l’accusation de néocolonialisme. En tant que devoir imparfait, la R2P est une responsabilité (responsibility) sans imputabilité (accountability), c’est-à-dire qu’elle a la particularité de ne pas impliquer devoir rendre des comptes. L’Etat intervenant sous la R2P est « responsable » sans être « redevable ». C’est la logique du paternalisme [85]. Cela devrait nous rappeler que les meilleurs défenseurs d’un devoir d’intervenir étaient les interventionnistes dix-neuviémistes qui invoquaient des raisons messianiques : les grandes puissances n’avaient pas seulement le droit d’intervenir, elles avaient encore le devoir de le faire, et cette responsabilité leur incombait car elles étaient les seules dépositaires de la « civilisation ».
Parler aujourd’hui de « responsabilité de protéger », c’est dire que certains pays, ceux qui (se) reconnaissent cette responsabilité (ce n’est pas le cas de tous, le concept n’est pas universel), se sentent investis d’une mission, non plus de civilisation mais de sauvetage – la distinction peut sembler mince et rappeler de mauvais souvenirs. Lors des négociations au Sommet mondial de 2005, plusieurs pays en voie de développement se sont opposés au concept précisément à cause de ses connotations néocolonialistes [86].
Voilà donc le paradoxe : la R2P s’est construite comme une alternative à la notion d’« intervention humanitaire » en lui reprochant notamment d’avoir une connotation néocolonialiste héritée des interventions d’humanité du XIXe siècle ; et de permettre les abus, c’est-à-dire l’invocation de motifs humanitaires pour des raisons relevant en réalité de l’intérêt national. Mais la R2P n’est pas davantage imperméable aux abus : le fait qu’en droit elle ne peut s’exercer qu’avec l’autorisation du Conseil de sécurité n’a pas empêché la Russie de l’invoquer pour justifier son invasion de la Géorgie en août 2008 et la France sa volonté d’utiliser la force pour acheminer l’aide humanitaire en Birmanie en mai de la même année. Deux épisodes qui, pour des raisons différentes – l’une de fait (la Géorgie ne commettait pas de génocide ni d’atrocités de masse en Ossétie du sud), l’autre d’applicabilité (la R2P ne s’applique pas aux catastrophes naturelles, comme un cyclone) – témoignent d’un détournement du principe. Non seulement la R2P n’évite pas les abus qu’elle prétend contourner mais, en tant que responsabilité ou devoir, elle a en outre un petit goût qui rappelle le « fardeau de l’homme blanc » de la colonisation.
La persistance de l’« intervention humanitaire »
La R2P ne propose donc « rien de nouveau », comme le reconnaît Francis Deng [87]. C’est ce qu’il faut rappeler autant à ses promoteurs zélés qui parlent de nouvelle norme, qu’aux critiques anti-interventionnistes qui la considèrent comme un nouveau danger. La R2P ne peut pas être cette « expansion du droit d’intervenir militairement » que déplore Jackson [88], car elle n’est l’expansion de rien : elle est plutôt un rappel du droit existant. Un nouveau concept qui n’ajoute rien a déjà une utilité contestable, mais il y a plus grave : non seulement il ne résout pas les problèmes classiques de l’intervention, mais il en crée même davantage. C’est ce qui explique que le terme d’« intervention humanitaire » ne soit pas prêt de disparaître [89].
Il y a bien d’autres raisons de préférer le second au premier, dont le fait que la R2P est davantage susceptible d’être abusée, puisqu’elle ne fixe aucune limite a priori à ce qu’il s’agit de « protéger », tandis que l’adjectif « humanitaire » permet en principe de limiter l’intervention à des catastrophes en cours [90]. Mais la raison principale qui doit nous faire préférer le vocable de l’intervention à celui de la R2P est beaucoup plus simple : ils ne désignent pas la même chose et, pour désigner une intervention militaire, la R2P est beaucoup trop large. Il faut donc distinguer clairement les deux termes.
Ce que nous proposons est de renommer le phénomène en fonction, non de son intention, mais de sa nature. Ce à quoi l’on assiste, dans les faits, est une intervention militaire [91]. L’adjectif « humanitaire » ne décrit pas la nature de l’intervention mais sa motivation déclarée. Tout ce que l’on sait de cette intervention militaire est qu’elle est justifiée par des raisons humanitaires. Ces justifications peuvent être sincères et correspondre à une intention réelle – ou pas. La question ne se pose plus dès lors que l’on en reste à la description d’un phénomène.
Pour être précis, on ne devrait donc pas parler d’« intervention humanitaire », encore moins d’« intervention militaire à des fins humanitaires » (puisque l’on présume ici connaître les fins réelles de l’intervenant), mais seulement d’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires. Ce qu’indiquent les justifications utilisées n’est pas la motivation réelle mais celle d’être perçu comme ayant la motivation en question. Par exemple, lorsque Bush invoque des raisons humanitaires, on ne peut pas en déduire qu’il a des raisons humanitaires : tout ce que l’on peut en déduire est qu’il pense qu’il est dans son intérêt de donner l’impression qu’il a des raisons humanitaires [92]. Bien entendu, la formule est moins attrayante, elle n’a pas les qualités d’un bon slogan et, pour des raisons pragmatiques, nous continuerons d’utiliser la moins mauvaise des alternatives : intervention humanitaire.
L’intervention humanitaire n’est finalement rien d’autre qu’un discours, un mode de justification, ce que Foucault appelait un « régime de vérité ». Le postmodernisme n’est pas le plus clair des courants en théorie des relations internationales, mais s’il y a un point sur lequel il faut lui donner raison c’est celui-ci : nous n’avons pas accès au monde en soi. Ce à quoi nous avons accès est toujours un pour soi, une construction discursive produite par les acteurs et les observateurs.
D’un point de vue normatif, on peut néanmoins avoir des doutes sur cette approche par le discours. N’est-ce pas, finalement, accepter le fait accompli et se contenter de décrire un phénomène plutôt que de nourrir des exigences à son sujet ? Non, car c’est aussi souligner le poids du discours sur les actes. En justifiant une action par des arguments humanitaires, l’Etat s’engage lui-même, publiquement, à se comporter de manière « humanitaire ». Cette déclaration publique n’est pas anodine. Sur la scène internationale, elle participe à la construction d’un ethos, comme on l’a vu a contrario avec l’exemple américain : des arguments humanitaires ont été mobilisés pour intervenir en Irak en 2003. L’intervention n’était clairement pas humanitaire et cette différence entre la parole et les actes a non seulement disqualifié l’intervention elle-même mais aussi décrédibilisé les Etats-Unis.
Pour limiter le risque d’abus, il faut miser sur l’image que les Etats, même et surtout les plus puissants, veulent donner d’eux-mêmes. Ils ne veulent pas, pour commencer, paraître hypocrites. De ce point de vue, le discours est contraignant. Mais la contrainte dont on parle n’est essentiellement que politique et morale : elle est celle que le gouvernement s’impose en fonction de l’image qu’il veut donner de lui-même, de celle qu’il a de son électorat – c’est pourquoi la contrainte est plus forte sur les démocraties représentatives – et de ses relations avec les autres Etats.
[1] M. Bettati, « Un droit d’ingérence ? », Revue générale de droit international public, 95:3, 1991, p. 640.
[2] Ibid., p. 644 et T. Weiss et J. Chopra, in G. Lyons et M. Mastanduno (ed.), Beyond Westphalia ? State Sovereignty and International Intervention, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1995, p. 112.
[3] B. Kouchner et H. Védrine, « Ingérence ou colonialisme ? », Le Nouvel Observateur, 2050, 19-25 février 2004, p. 80.
[4] J.-B. Jeangène Vilmer, « Ethique et politique de l’intervention humanitaire armée », Critique internationale, 39, 2008, p. 161-182.
[5] J.-B. Jeangène Vilmer, « La mythologie française du droit d’ingérence », Libération, 11 mai 2010, p. 20.
[6] P. Colletta, Histoire du Royaume de Naples, tome I, Paris, Ladvocat, 1835, p. 194. Voir aussi Revue des deux mondes, 12, 1837, p. 778.
[7] P. Fiore, Nouveau droit international public, 2ème éd., Paris, Durand et Pédone-Lauriel, t. I, 1885, p. 511.
[8] J.-F. Revel, « Le devoir d’ingérence », L’Express, 16 juin 1979, p. 60.
[9] Interview du Président de la République accordée à T.F.1, Antenne 2, F.R.3 et La Cinq, 14 juillet 1991.
[10] Discours du Président de la République devant l’Assemblée générale des Nations Unies, New York, 29 septembre 1988.
[11] B. Kouchner, préface à P. Legros et M. Libert, L’exigence humanitaire, Paris, Presses du management, 2000, p. 14.
[12] M. Bettati et B. Kouchner (ed.), Le devoir d’ingérence : peut-on les laisser mourir ?, Paris, Denoël, 1987.
[13] M. H. Brocher de la Fléchère, « Solidarité et souveraineté, à propos d’une brochure intitulée "L’intervention et la péninsule balkanique" », Revue de droit international et de législation comparée, 26, 1894, p. 415.
[14] B. Kouchner, Ce que je crois, Paris, Grasset, 1995, p. 50.
[15] O. Corten et P. Klein, Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?, Bruxelles, Bruylant / Editions de l’Université de Bruxelles, 1992, p. 3.
[16] B. Kouchner, « The Right to Intervention : Codified in Kosovo », New Perspectives Quarterly, 16:4, 1999, p. 4 et 5.
[17] Le Monde, 24 septembre 2011, p. ARH5 et ARH1.
[18] Il faut généralement sortir de France pour l’apprendre dans la presse : ce sont les journaux suisses qui rappellent que le débat dure « depuis au moins 300 ans » (Le Temps, 9 mars 2011) et qu’avant Kouchner et Bettati, Grotius défendait déjà en 1625 « le "droit accordé à la société humaine" d’intervenir au cas où un tyran "ferait subir à ses sujets un traitement que nul n’est autorisé à faire" » (Le Matin, 6 mars 2011, p. 3).
[19] H. Védrine, « La gestion de la crise du Kosovo est une exception », Le Monde, 25 mars 2000, p. 16.
[20] T. Allen et D. Styan, « A Right to Interfere ? Bernard Kouchner and the New Humanitarianism », Journal of International Development, 12:6, 2000, p. 826.
[21] A. Geouffre de Lapradelle, « chronique sur les affaires de Cuba », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1900, t. I, p. 75 ; A. Rougier, « La théorie de l’intervention d’humanité », Revue générale de droit international public, 17, 1910, p. 488 ; P. Fauchille, Traité de droit international public, 8ème éd., Paris, Rousseau & Cie, 1922, p. 565.
[22] F. Deng, « From ‘Sovereignty as Responsibility’ to the ‘Responsibility to Protect’ », Global Responsibility to Protect, 2, 2010, p. 353-370.
[23] K. Annan, « Deux concepts de la souveraineté », Le Monde, 22 septembre 1999, p. 20.
[24] CIISE, La responsabilité de protéger, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, §2.29, p. 17.
[25] Ibid., §2.32, p. 18.
[26] Ibid., §2.29, p. 18.
[27] Ibid., §2.28, p. 17.
[28] UN Doc. A/60/L.1 (20 septembre 2005).
[29] UN Doc. S/RES/1674 (2006), S/RES/1706 (2006) et S/RES/1894 (2009).
[30] Implementing the R2P, UN Doc. A/63/677 (12 janvier 2009), p. 7.
[31] UN Doc. A/RES/63/308 (7 octobre 2009).
[32] Par exemple lors de ses « Remarks at a Stanley Foundation Conference on Implementing the R2P », Tarrytown, 15 janvier 2010.
[33] M. Bettati, in SFDI, La responsabilité de protéger, Actes du colloque de Nanterre, Paris, Pédone, 2008, p. 10.
[34] J.-M. Ripert, déclaration à la presse, 7 mai 2008, en ligne.
[35] Conférence de presse conjointe avec Mme Heidemarie Wieczorek-Zeul, ministre allemande de la coopération économique et du Développement, 7 mai 2008.
[36] Communiqué du 8 mai 2008, Mission permanente de la France auprès de l’Office des Nations Unies à Genève.
[37] Libération, 3 mars 2011, p. 2.
[38] N. Nougayrède, dans Le Monde, 14 septembre 2011, p. 24.
[39] Le Figaro, 7 mai 2011, p. 14.
[40] Le Soir, 1er avril 2011.
[41] A. Lacroix, dans une question à R. Brauman, qui ne relève pas puisque son anti-interventionnisme égalise aussi droit d’ingérence et R2P (Marianne, 27 août 2011, p. 46). En France, les interventionnistes qui s’attribuent la paternité de la R2P parce que du droit d’ingérence (Kouchner, Bettati) et les anti-interventionnistes qui s’opposent à la R2P parce qu’ils la confondent avec le droit d’ingérence et le changement de régime (Brauman, Bricmont) font exactement la même confusion.
[42] UN Doc. A/63/677, 12 janvier 2009.
[43] A. Bellamy, « The Responsibility to Protect and the Problem of Military Intervention », International Affairs, 84:4, 2008, p. 617, n. 18.
[44] L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, « De la "responsabilité de protéger", ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie », Revue générale de droit international public, 110:1, 2006, p. 12.
[45] R. Thakur, « Should the UN invoke the responsibility to protect ? », The Globe and Mail, 8 mai 2008.
[46] Le Monde, 15 mai 2008, p. 4.
[47] D. Rodin, « The Responsibility to Protect and the Logic of Rights », in O. Jütersonke et K. Krause (eds.), From Rights to Responsibilities : Rethinking Interventions for Humanitarian Purposes, Geneva, Programme for Strategic and International Security Studies (PSIS), 2006, p. 58.
[48] K.-C. Tan, « The Duty to Protect », in T. Nardin et M. S. Williams (eds.), Humanitarian Intervention, Nomos XLVII, New York, New York University Press, 2006, p. 88.
[49] Lettre de John Bolton aux Nations Unies, du 30 août 2005.
[50] L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, op. cit., p. 13 et O. Corten, Le droit contre la guerre, Paris, Pédone, 2008, p. 777.
[51] O. Corten et B. Delcourt, « L’intervention militaire en Libye : une avancée du droit international ? », Politique, revue de débats, 70, 2011, p. 5-7.
[52] D. Chandler, « Understanding the Gap Between the Promise and Reality of the Responsibility to Protect », in P. Cunliffe (ed.), Critical Perspectives on the Responsibility to Protect : Interrogating theory and practice, Londres, Routledge, 2011, p. 23.
[53] P. Williams, « The Road to Humanitarian War in Libya », Global Responsibility to Protect, 3, 2011, p. 249 et A. Bellamy, « Libya and the Responsibility to Protect : The Exception and the Norm », Ethics & International Affairs, 25:3, 2011, p. 263.
[54] A. Bellamy, « Libya and the Responsibility to Protect », op. cit., p. 263-264.
[55] Le Monde, 22 avril 2011, p. 16.
[56] J. Pattison, « Introduction to Roundtable : Libya, RtoP, and Humanitarian Intervention », Ethics & International Affairs, 25:3, 2011, p. 252.
[57] J. Welsh, « Civilian Protection in Libya : Putting Coercion and Controversy Back into RtoP », Ethics & International Affairs, 25:3, 2011, p. 255.
[58] N. Wheeler, « A Victory for Common Humanity ? The Responsibility to Protect After the 2005 World Summit », Paper to be presented to a conference on The UN at Sixty : Celebration or Wake ?, Faculty of Law, University of Toronto, Canada, 6-7 octobre 2005, en ligne, p. 2.
[59] J. Welsh, « The Responsibility to Protect : Securing the Individual in International Society », in B. J. Goold et L. Lazarus (eds.), Security and Human Rights, Portland, Hart Publishing, 2007, p. 379.
[60] Ibid., p. 380.
[61] T. Weiss, Humanitarian Intervention : Ideas in Action, Cambridge, Polity, 2007, p. 117. Mais en 2010 il reconnaît qu’il s’agit d’une « exagération » (« Reinserting “Never” into “Never Again” : Political Innovations and the Responsibility to Protect », in D. Hollenbach (ed.), Driven from Home : Protecting the Rights of Forced Migrants, Washington D.C., Georgetown University Press, 2010, p. 211).
[62] S. Chesterman, « ‘Leading from Behind’ : The Responsibility to Protect, the Obama Doctrine, and Humanitarian Intervention after Libya », Ethics & International Affairs, 25:3, 2011, p. 281.
[63] L. Boisson de Chazournes et L. Condorelli, op. cit., p. 13.
[64] J. Chopra et T. Weiss, « Sovereignty Is No Longer Sacrosanct : Codifying Humanitarian Intervention », Ethics & International Affairs, 6:1, 1992, p. 108.
[65] F. Mégret, « La responsabilité de protéger : encore un slogan », Le Devoir, 27 mars 2006, p. A7 et A. Hehir, « The Responsibility to Protect : ‘Sound and Fury Signifying Nothing’ ? », International Relations, 24:2, p. 219.
[66] A. Bellamy, Global Politics and the Responsibility to Protect : From Words to Deeds, London, Routledge, 2011, p. 6.
[67] A. Kapur, « ‘Humanity as the A and ( of Sovereignty’ : Four Replies to Anne Peters », European Journal of International Law, 20:3, 2009, p. 560-562.
[68] A. Bellamy et R. Reike, « The Responsibility to Protect and International Law », Global Responsibility to Protect, 2, 2010, p. 269.
[69] Ibid., p. 273.
[70] A. Orford, International Authority and the Responsibility to Protect, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 25.
[71] Ibid., p. 41.
[72] Ibid., p. 26.
[73] A. Hehir, op. cit., p. 227.
[74] Ibid., p. 214-215.
[75] Brazil, Plenary Meeting of the General Assembly on the R2P, 23 juillet 2009.
[76] A. Hehir, « The Responsibility to Protect and International Law », in P. Cunliffe (ed.), op. cit., p. 95.
[77] G. Evans, The Responsibility to Protect : Ending Mass Atrocity Crimes Once and For All, Washington D.C., Brookings Institution Press, 2008, p. 223 et A. Bellamy, Responsibility to Protect : The Global Effort to End Mass Atrocities, Cambridge, Polity, 2009, p. 119.
[78] A. Bellamy, Responsibility to Protect, op. cit., p. 3.
[79] C. Bagnoli, « Humanitarian Intervention as a Perfect Duty : a Kantian Argument », in T. Nardin et M. Williams (eds.), op. cit., p. 117-140.
[80] M. Walzer, « Preface to the Third Edition », in Just and Unjust Wars, 3rd ed., New York, Basic Books, 2000, p. xiii.
[81] P. Cunliffe, « A Dangerous Duty : Power, Paternalism and the Global ‘Duty of Care’ », in P. Cunliffe (ed.), op. cit., p. 52.
[82] K.-C. Tan, op. cit., p. 96.
[83] J. Welsh et M. Banda, « International Law and the Responsibility to Protect : Clarifying or Expanding States’ Responsibilities ? », Global Responsibility to Protect, 2, 2010, p. 219.
[84] D. Rodin, op. cit., p. 55.
[85] P. Cunliffe, op. cit., p. 62.
[86] J. Welsh, « The Responsibility to Protect », op. cit., p. 367.
[87] Il le confie à A. Hehir dans un entretien le 20 août 2009 à New York (A. Hehir, « The Responsibility to Protect and International Law », op. cit., p. 93).
[88] R. Jackson, « War Perils in the Responsibility to Protect », Global Responsibility to Protect, 2:3, 2010, p. 315.
[89] T. Weiss, Military-Civilian Interactions : Humanitarian Crises and the Responsibility to Protect, 2nd ed., Lanham, Rowman & Littlefield, 2005, p. 200.
[90] J. Alvarez, « The Schizophrenias of R2P », in P. Alston et E. MacDonald (eds.), Human Rights, Intervention, and the Use of Force, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 283.
[91] C. Lu, Just and Unjust Interventions in World Politics : Public and Private, New York, Palgrave Macmillan, 2006, p. 139.
[92] N. Wheeler, « Humanitarian Intervention after September 11, 2001 », in A. Lang Jr (ed.), Just Intervention, Washington D.C., Georgetown University Press, 2003, p. 198.