[version longue, publiée en ligne sur lemonde.fr, de la version courte publiée dans Le Monde, 3 décembre 2015, p. 20]
Débat : faut-il intervenir en Syrie ?
Au lendemain des attentats du 13 novembre, la France est entrée en guerre contre l’organisation Etat islamique en Syrie et a intensifié ses frappes sur le territoire sous contrôle des djihadistes. Cette nouvelle intervention de la France - la cinquième depuis 2011 (Libye, Mali, RCA, Irak) relance le débat sur l’efficacité de cette stratégie militaire. Faut-il la poursuivre ou privilégier la diplomatie préventive pour résoudre les conflits armés ? Pour Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, titulaire de la Chaire d’études sur la guerre du Collège d’études mondiales (FMSH) et chargé de mission au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère des affaires étrangères, « quand on sait que les négociations ne déboucheront sur rien alors que parallèlement les exactions se poursuivent », l’intervention militaire semble légitime. Mais accorde-t-on assez de temps à la diplomatie ? Pas vraiment répond Delphine Placidi-Frot, professeur des universités en science politique à l’Université Paris-Sud - Université Paris-Saclay, car « on n’inclut pas suffisamment de parties prenantes à la négociation ».
La France est-elle en guerre ?
Delphine Placidi-Frot : Selon le discours officiel oui, mais en droit international la notion de guerre implique d’avoir un ennemi identifié - traditionnellement un Etat - et une déclaration de guerre. On parle d’ailleurs plutôt de « conflit armé ». De quelle guerre s’agit-il ensuite ? Si la France est en guerre, la mène-t-elle seule ou avec une coalition ? Et contre qui ? La cible annoncée, c’est Daech mais pour faire la guerre, il faut identifier un territoire sur lequel on se déploie. Comment procède-t-on enfin, par des raids aériens sur la Syrie et l’Irak, ou par une intervention au sol ? Cela reste à préciser.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : N’accordons pas trop de crédit à cette notion de « guerre ». La notion est floue, sans définition consensuelle, et on ne déclare plus la guerre. La déclaration de guerre est une exigence introduite lors de la Conférence de La Haye en 1907 mais elle n’a jamais été vraiment respectée. La France n’a pas déclaré la guerre depuis la Seconde guerre mondiale, et pourtant elle l’a faite. Du coup, parler de guerre ou d’intervention relève essentiellement de la communication politique. Cela dépend de la connotation que l’on veut véhiculer. Quand on dit « guerre », on veut dire que c’est sérieux, durable et que l’on va faire des sacrifices. Quand on dit « intervention », on est dans l’analogie médicale voire chirurgicale. On veut montrer qu’il s’agit de sauver des gens et que cela va être court, propre, précis. Aujourd’hui, on peut dire que la France est en guerre, mais elle l’était bien avant les attentats du 13 novembre.
Comment expliquez-vous cette logique d’interventions françaises depuis 2011 ? On a quasiment une intervention par an (Libye, Mali, RCA, Irak, Syrie)
Delphine Placidi-Frot : Le tournant se situe en 1989-1991 avec la fin de la Guerre froide. La France a besoin, pour justifier son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, de montrer qu’elle a une utilité diplomatique et stratégique sur le plan international. Elle va ainsi beaucoup se réinvestir dans les opérations extérieures sous l’égide des Nations unies. Elle va aussi tenter de construire une défense européenne, avec moins de succès. La France est donc intervenue bien avant 2011, notamment en Afrique subsaharienne (Somalie, Rwanda, Cote d’Ivoire, RDC, Tchad...). En revanche, il est vrai qu’une militarisation accrue de la projection de la France à l’étranger s’exprime dans les discours officiels depuis 2011.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Cette apparente nouveauté de l’interventionnisme français résulte d’abord d’une illusion d’optique. En fait, la France a toujours été interventionniste. La fin de la Guerre froide a permis à tout le monde de l’être davantage, car le système international n’était plus sous un couvercle bipolaire. Aujourd’hui, c’est par rapport à l’opposition de la France à la guerre en Irak de 2003 et au discours de Villepin à l’ONU qu’on a l’impression qu’il y a un changement. Mais l’Irak, c’est l’exception qui confirme la règle. On n’est pas allé en Irak car c’était une intervention illégale et illégitime - contrairement à celle du Kosovo en 1999 que l’on peut considérer comme illégale mais légitime. La France intervenait régulièrement avant, et interviendra régulièrement après.
Quant à l’accélération des dernières années, elle n’est pas liée à des considérations idéologiques mais à des facteurs externes, des mutations du système international, comme l’effritement de l’unipolarité et la multiplication des acteurs non-étatiques, dont des groupes armés aux ambitions transnationales comme Daech et Boko Haram. Grâce au progrès technologique, à ce que Rosenau appelait en 1990 la révolution des capacités individuelles, quelques individus sont désormais capables de projeter leur puissance beaucoup plus violemment qu’auparavant comme l’a montré le 11 Septembre. Tout cela contribue à l’instabilité du monde. D’où la prolifération des crises et donc le nombre croissant d’interventions.
Fallait-il intervenir plus tôt en Syrie pour éviter le chaos général actuel du pays ?
Delphine Placidi-Frot : On ne peut pas comprendre l’inaction de la communauté internationale en Syrie en 2013 sans avoir le précédent libyen à l’esprit. Si en 2013, le débat sur l’avenir de Bachar Al-Assad a été bloqué au Conseil de sécurité, c’est parce qu’en 2011 les Occidentaux sont intervenus en Libye, notamment la France, avec un mandat du Conseil de sécurité qu’ils ont largement outrepassé. La résolution 1973 stipulait la protection des populations civiles, qui incombait aux autorités libyennes, pas le renversement du régime de Kadhafi.
Il y a ensuite différentes façons d’intervenir. Outre l’intervention armée, le recours à la Cour pénale internationale (CPI) n’a pour l’instant jamais été utilisé autrement que pour poursuivre des dictateurs africains. Il y avait pourtant suffisamment d’éléments pour assigner Bachar Al-Assad devant la CPI. Sans mandat de l’ONU, l’intervention semblait difficilement envisageable.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : D’abord, la résolution 1973 sur la Libye n’a pas été dévoyée. Elle autorisait les intervenants à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils sur la totalité du territoire libyen, et pas seulement Benghazi. Evidemment, elle ne donnait pas mandat de changer le régime, mais était-il possible de protéger les civils sans faire tomber Kadhafi dès lors qu’il était la menace qui pesait sur eux ? Qu’on m’explique comment ! Le changement de régime n’était pas la finalité de l’intervention, contrairement à l’Irak en 2003, mais l’un des moyens nécessaires pour protéger les civils.
Pour ce qui est de la Syrie, il y avait une fenêtre d’intervention possible à l’été 2013, suite à l’usage de gaz. L’erreur a été de parler de ligne rouge si l’on n’avait pas l’intention d’agir quand elle est traversée : on perd en crédibilité. On aurait dû lancer des frappes militaires limitées, histoire d’envoyer un message à Damas, sans aller plus loin afin d’éviter l’engrenage, et en étant attentif à la réaction de la Russie et de l’Iran. La France était prête à y aller, et n’a renoncé au dernier moment que parce qu’elle était seule après la démission britannique et américaine.
Quant à la CPI, il y a bien eu une tentative de la saisir en mai 2014 mais, la Syrie n’étant pas partie au Statut de Rome, une résolution du Conseil de sécurité était nécessaire, et le projet de résolution a été bloqué par les vetos russe et chinois. De toute façon, un mandat d’arrêt n’aurait pas dissuadé Bachar Al-Assad de continuer de massacrer sa population.
Accorde-t-on assez de temps dans la gestion d’une crise à la négociation avant d’intervenir ? Ne sommes-nous dans une diplomatie de punition ?
Delphine Placidi-Frot : On accorde rarement assez de temps et on n’inclut pas suffisamment de parties prenantes à la négociation. On néglige beaucoup également la diplomatie préventive. Or, depuis longtemps, experts et acteurs du terrain perçoivent et décrivent des mobilisations contestataires au sein des sociétés civiles, des appareils bureaucratiques et politiques sclérosés et des inégalités économiques, sociales et ethniques intolérables dans un certain nombre de pays.
La négociation ne doit pas commencer par un ultimatum comme on l’a vu dans la déclaration de Laurent Fabius selon lequel le préalable à la solution du conflit syrien est le départ de Bachar Al-Assad. Ce n’est pas un postulat que l’on peut imposer quand on démarre une négociation. Si l’on veut arriver à une solution, il faut inclure toutes les parties prenantes. Comme on le fait dans le cadre d’une conférence post-conflit, pourquoi ne pas intégrer l’ensemble des acteurs dans la négociation ? Pourquoi n’accorde-t-on pas davantage de place à la négociation inclusive, à des pratiques de bons offices, de conciliation ou de médiation ? Il existe un certain nombre d’outils dans l’arsenal diplomatique qui sont insuffisamment utilisés.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : C’est un truisme de dire qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Mais que fait-on quand on a échoué à prévenir ? Sait-on quand il est temps d’intervenir ? Et que fait-on quand on sait que les négociations ne déboucheront sur rien alors que parallèlement les exactions se poursuivent ? Certaines négociations sont en fait porteuses de faux espoirs.
Sur le départ de Bachar, je suis d’accord qu’en faire un préalable à toute discussion et refuser toute période de transition relève d’une intransigeance peu propice à la négociation. Il faut être inclusif et comprendre qu’il ne partira pas du jour au lendemain car il a de forts soutiens. Mais il faut aussi comprendre qu’il fait partie du problème, pas de la solution. Il est le coproducteur de Daech car il a libéré des djihadistes depuis 2011 pour diviser l’opposition. Aujourd’hui, contrairement à ce qu’il prétend, il ne les combat pas mais leur achète des hydrocarbures et continue de payer ses fonctionnaires dans les zones contrôlées par Daech. Penser que s’allier à Bachar nous permettra d’en finir avec Daech est absurde. Et n’oublions pas que tout cela a commencé par une révolte du peuple syrien contre le régime de Bachar, indépendamment de la question de Daech. Tant qu’il restera au pouvoir, il n’y aura pas de règlement de la crise.
A force d’intervenir ici ou là, il ne faut pas s’étonner d’être frappé à notre tour sur le territoire national, rappellent certains observateurs depuis les attentats du 13 novembre. Cet effet boomerang est-il fondé ?
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Il n’y a pas de lien de causalité entre les attentats du 13 novembre et notre intervention en Syrie pour plusieurs raisons. D’abord, ils ont été planifiés avant notre intervention de septembre. Ensuite, nous avons aussi été frappés avant, quatre fois entre les attentats de janvier et l’attaque du Thalys. En outre, Daech a frappé 20 pays dans les 18 derniers mois, des pays qui ne sont pas tous interventionnistes. Enfin, la revendication des attentats du 13 vise « Paris, capitale des abominations et de la perversion », ce qui prouve bien que l’on est frappé pour ce que nous sommes au moins autant que pour ce que nous faisons.
Mais il y a autre chose. Cette volonté louable de reconnaître notre part de responsabilité cache un paternalisme qui déresponsabilise les populations locales, comme celles qui partent se battre là-bas. On fait comme si elles étaient des masses inertes ne faisant que réagir à des stimuli occidentaux, comme si elles n’avaient ni libre arbitre ni idéologie. Je trouve Olivier Roy convaincant lorsqu’il explique que la radicalisation précède l’islamisation et non l’inverse, mais il l’est moins lorsqu’il réduit le phénomène à une révolte nihiliste. Il y a bien une idéologie à l’oeuvre, et des gens qui croient à quelque chose.
Delphine Placidi-Frot : Certes, mais je pense que les sociétés industrialisées ont une responsabilité plus globale liée aux inégalités sociales et économiques. Il s’agit à la fois d’inégalités internationales Nord/Sud et de fractures sociales en France, qui alimentent les frustrations. Quand ces inégalités sont à ce point massives, visibles, médiatisées et diffusées en temps réel à l’échelle mondiale, elles deviennent un terrain de frustrations et de violence.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Les frustrations alimentées par les inégalités jouent un rôle, mais il est insuffisant pour expliquer l’ensemble. Des inégalités, il y en a partout sur la planète. Si elles ne produisent ce genre de comportement que dans certaines régions, c’est qu’il y a d’autres facteurs comme l’idéologie qui entrent en compte.
Pourquoi toujours intervenir en aval des crises et ne jamais agir plus en amont dès les premiers signes de tensions ?
Delphine Placidi-Frot : Il existe des mécanismes de vigilance et d’alerte. Le Secrétariat général de l’ONU suit les zones de tension, il y envoie des représentants, il y a aujourd’hui plus de 100 000 casques bleus déployés dans 16 pays à travers le monde dont un certain nombre en mission d’observation ou d’interposition. Le problème est que dans le cadre multilatéral actuel, c’est principalement le Conseil de sécurité qui joue ce rôle de diplomatie préventive. Il se saisit du dossier quand le conflit risque d’exploser et menace la paix et la sécurité internationale, mais en raison du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures et du respect de la souveraineté des Etats, on ne peut pas intervenir n’importe où, n’importe comment. Il faut qu’il y ait un minimum soit de violations massives des droits de l’homme et d’atteintes au bien-être des populations, soit la régionalisation d’un conflit.
Autrement dit, l’intervention en amont est compliquée. La frontière est ténue avec la guerre préventive qui a été systématisée de façon radicale par George W. Bush. Que fait-on face à une crise qui se développe ? Il manque dans le droit international un mécanisme contraignant pour imposer à des parties civiles de négocier dans un Etat souverain.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Une intervention militaire trop en amont serait dénoncée comme une ingérence, donc comme une intervention illégale, et une guerre préventive. C’est le fameux débat en éthique de la guerre entre le préemptif et le préventif. Autant l’action préemptive, face à une menace imminente, est généralement tolérée - et encore, parce qu’il n’est pas facile de prouver l’imminence ! -, autant la guerre préventive à la Bush est unanimement condamnée, précisément parce qu’elle se situe trop en amont.
Mais l’action ne se limite pas à l’intervention armée, qui n’est jamais qu’un dernier recours, et la responsabilité de protéger (R2P) implique aussi celle de prévenir, en plus de celles de réagir et de reconstruire. Il faut développer ces mécanismes de prévention et d’alerte précoce.
Le principe de Responsabilité de Protéger (Responsability to Protect, R2P) est-il un accélérateur d’intervention ?
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Il y a en fait deux normes dans la R2P. D’abord, la R2P interne : l’Etat a la responsabilité de protéger sa propre population des crimes de génocide, crime contre l’humanité, nettoyage ethnique et crime de guerre. Celle-ci est une obligation juridique. Ensuite, la R2P externe, qui est subsidiaire : si l’Etat échoue à protéger sa population, la communauté internationale a la responsabilité d’intervenir. Mais là, ce n’est plus qu’une obligation morale, sans contrainte. C’est ce qu’Emmanuel Kant appelait un devoir imparfait, comme la charité, qu’il est méritoire d’accomplir mais dont la transgression n’est qu’un défaut moral.
La R2P offre un cadre normatif mais elle n’est pas un titre juridique permettant à un Etat d’intervenir unilatéralement sur le territoire d’un autre, puisqu’elle requiert toujours une autorisation du Conseil de sécurité. Et, empiriquement, elle n’a provoqué ni accéléré aucune intervention. Il ne faut pas exagérer son influence. Elle n’a pas « causé » l’intervention en Libye, par exemple, qui aurait eu lieu sans elle, comme ont eu lieu les nombreuses interventions précédant l’apparition du concept en 2001.
Delphine Placidi-Frot : La R2P reprend les principes du droit international humanitaire, des droits de l’homme, du droit des réfugiés. Il y a une ambiguïté sémantique dans cette notion de « Responsabilité de Protéger » les populations civiles. Un acteur comme l’Assemblée générale des Nations unies auraient pu s’en saisir car dans la R2P il n’y a pas qu’un volet militaire il y a aussi la diplomatie préventive et un accompagnement post-conflit. C’est une conception inclusive de la protection des civils dans des situations de violence. On a raté une occasion.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : L’Assemblée générale est en réalité la première à se saisir de la R2P puisque c’est elle qui l’a adoptée en 2005 et qui depuis 2009 accueille un débat annuel. Mais l’Assemblée générale ne peut pas adopter de résolutions contraignantes et n’est pas compétente pour autoriser l’usage de la force. Le précédent de la résolution Acheson, utilisée pour la Corée en 1950, est considéré par la plupart des juristes comme une exception qui confirme la règle.
La doctrine d’intervention est-elle teintée d’idéologie néo-conservatrice et néo-coloniale ?
Delphine Placidi-Frot : Il s’agit de deux dimensions distinctes. La pratique de l’intervention par les anciennes puissances coloniales dans des Etats anciennement colonisés sera encore longtemps susceptible d’être accusée de néocolonialisme. C’est pour cela que la France et d’autres puissances européennes prennent soin dans leurs opérations de paix d’avoir cette légitimation et légalisation par le Conseil de sécurité, l’UE, l’OSCE, l’OTAN. On intervient rarement seul, depuis la fin de la Guerre froide. Dans le cas des Etats-Unis, avant de parler de néoconservatisme, leurs interventions depuis le XIXe siècle relèvent plutôt d’une forme d’impérialisme ou de néoimpérialisme. Une intervention ou ingérence militaire n’est jamais désintéressée. Il y a toujours un intérêt pour un Etat à intervenir, même dans le cadre d’une coalition internationale. La dimension néoconservatrice est plus récente. Elle a connu son apogée avec la présidence de George W. Bush et reste liée à ce contexte historique particulier marqué par l’intervention militaire au nom de la démocratie.
Si l’on rapporte la question à la France, je ne qualifierai pas la diplomatie française de néoconservatrice mais il y a une inflexion majeure qui remonte à la présidence Sarkozy et une certaine continuité entre la diplomatie de Sarkozy et celle de Hollande à propos de l’interventionnisme militaire.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Le néoconservatisme a deux attributs que n’a pas nécessairement l’interventionnisme : le militarisme et l’unilatéralisme. Le militarisme implique de fortes dépenses militaires. Ce n’est pas le cas de la France, par exemple, qui à 1,8 % du PIB est en dessous de l’objectif OTAN de 2 %, et ça ne l’empêche pas d’être interventionniste. Quant à l’unilatéralisme, c’est-à-dire la propension à intervenir illégalement, c’était bien le cas des Etats-Unis en 2003, mais ce n’est pas non plus le cas de la France dont les récentes interventions se sont faites soit avec le consentement de l’Etat hôte (Mali, RCA, Irak), soit avec l’autorisation du Conseil de sécurité (Libye), soit encore en vertu de la légitime défense (Syrie), et toujours avec le souci de rassembler dans des coalitions et dans le respect du cadre onusien. On peut donc être interventionniste sans être néoconservateur.
En revanche, l’interventionnisme est forcément, pour des raisons historiques, teinté de néocolonialisme. Cela remonte au XIXe siècle avec la Question d’Orient qui a suscité un débat intense à cette époque autour de la notion d’intervention d’humanité en faveur de la protection des minorités chrétiennes de l’Empire ottoman, dans un contexte colonialiste avec une mission civilisatrice. Mais aujourd’hui, c’est très simpliste de limiter l’interventionnisme à l’Occident. Il y a un interventionnisme africain (les organisations régionales africaines ne sont pas moins interventionnistes que l’Occident), russe (Géorgie 2008, Ukraine 2014, Syrie 2015), arabe (Libye 2011, Irak 2014, Yémen 2015), et iranien (en coordination avec le Hezbollah, dans le conflit syrien). L’interventionnisme se démocratise, il n’est plus l’apanage de l’Occident. Ce qui affaiblit la critique postcolonialiste.