Dossier Turkménistan avec trois articles : une introduction générale sur la situation des droits de l’homme, une enquête sur les prisons turkmènes et une analyse sur les conditions d’enquête au Turkménistan pour les ONG internationales, avec 13 photos.
Enchâssé entre l’Iran, l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et la mer Caspienne, le Turkménistan est l’un de ces pays improbables dont certains questionnent l’existence même. D’une surface un peu plus petite que celle de l’Espagne et occupée à plus de 80% par le désert du Karakoum, cette dictature de 4,8 millions d’habitants ne suscite généralement l’intérêt des observateurs que pour trois raisons : ses considérables réserves de gaz, qui le placent au centre du grand jeu énergétique ; sa situation géopolitique, entre l’Iran et l’Afghanistan ; et son régime autocratique, dont les conséquences alarment les organisations de défense des droits de l’homme et dont les fantaisies amusent une presse occidentale en mal d’exotisme.
Le monde entier a placé beaucoup d’espoirs en Gourbangouly Berdymouhamedov, le nouveau président qui, en février 2007, a succédé au défunt Turkmenbachi, Saparmourat Niyazov. Cela fait désormais trois ans et demi qu’il est au pouvoir, multipliant les promesses rassurantes en matière de droits de l’homme et de bonne gouvernance. Beaucoup s’y laissent prendre et parlent d’une « ouverture ». Il y a eu, en effet, une ouverture économique, de meilleures conditions pour les multinationales, une diplomatie plus active. Il y a eu, aussi, quelques réformes bienvenues, une revalorisation modeste des retraites, un allongement symbolique de la scolarité obligatoire, et plus récemment une réforme du code pénal. La communauté internationale applaudit. Pour d’autres raisons peut-être. Sa croissance économique exemplaire fait du Turkménistan le deuxième pays le plus performant du monde en 2010, et pas une semaine ne passe sans qu’une délégation étrangère n’exprime sa volonté d’y investir. Mais, sur le terrain, pour la population, la situation des droits de l’homme s’est-elle vraiment améliorée ?
A l’exception de rares secteurs, comme la liberté de circulation, la réponse est clairement négative. Contrairement à ce qu’on pouvait croire, et à ce que le gouvernement turkmène continue de prétendre, Berdymouhamedov, qui bâtit d’ailleurs son propre culte de la personnalité en lieu et place de celui de Niyazov, se place dans la stricte continuité de son prédécesseur. Il n’y a, en matière de droits de l’homme, aucun progrès notable.
Lorsque l’on évoque le cas de la liberté de circulation, on veut dire que les barrages régulièrement postés sur tous les axes routiers ont été supprimés, les points de contrôle réduits et qu’il n’est plus nécessaire pour les Turkmènes d’obtenir un permis pour se rendre dans les zones frontalières. Mais le système d’enregistrement de la résidence permanente (propiska) empêche toujours les Turkmènes d’habiter ou d’obtenir un emploi dans une autre région que celle où ils sont inscrits, il y a des déplacements forcés de population, par exemple sous la forme d’expropriation généralement brutale dans la capitale lorsque l’on rase des quartiers entiers pour agrandir le palais présidentiel, et des listes noires empêchent des milliers de personnes de quitter le pays, et des milliers d’autres d’y entrer.
Autre exemple d’illusionnisme : en février 2010, la presse occidentale annonçait « la fin du système de parti unique », « les premiers partis d’opposition créées en 2010 », et un pas déterminant « vers la démocratie au Turkménistan », parce que le président turkmène venait de dire qu’il était permis de créer des partis d’opposition. C’est en réalité un non-événement. Le multipartisme est autorisé, non seulement depuis la constitution de septembre 2008 mais aussi depuis celle de 1992, qui permettait déjà la création et l’enregistrement des partis. Cette possibilité existe depuis le début, mais elle n’a jamais été concrétisée. Si Berdymouhamedov semble désormais l’annoncer, c’est pour faire illusion. Si demain des partis d’opposition sont créés, il pourra s’agir d’une fausse opposition, d’une opposition contrôlée ou symbolique, suffisante pour donner l’impression aux médias occidentaux que le pays est sur la voie de la démocratisation, mais insuffisante pour changer quoi que ce soit sur place.
La liberté de la presse ? Toujours inexistante. Le Turkménistan est à la 173ème place sur 175 du classement mondial de RSF : il se retrouve en queue de peloton avec la Corée du Nord et l’Erythrée, dans ce que RSF appelle le « trio infernal » ou les « enfers immobiles ». La liberté d’association ? Toujours symbolique. Il y a une fausse société civile : des organisations gouvernementales auxquelles les personnes concernées sont obligées d’adhérer, et qui ne servent qu’à légitimer les politiques du président. Les véritables ONG sont très rares et très surveillées. La loi turkmène sur les associations publiques laisse à la discrétion du ministère de la Justice la possibilité d’enregistrer des ONG et d’interférer dans leur travail. En juillet 2007, pour la première fois depuis 2005, l’Etat a enregistré 11 nouvelles organisations – mais dix d’entre elles sont liées au gouvernement. La onzième est l’association Ak Bugday des jardiniers. Et, la même année, le gouvernement a également retiré leur licence à 11 autres organisations. En décembre 2009, il y avait officiellement 88 ONG enregistrées, sur lesquelles six seulement étaient considérées comme relativement indépendantes.
Les droits des minorités ? Toujours bafoués. Leurs médias, leurs écoles, leurs associations ont été supprimés. La plupart des Russes sont partis. Ceux qui restent, comme les Ouzbeks, les Kazakhs et les autres groupes minoritaires, sont quotidiennement discriminés. Les droits des femmes ? Un signe encourageant : en septembre 2009, l’ONG Keik Okara, avec le soutien de l’OSCE, a mis en place une permanence téléphonique pour assister les victimes de violence domestique. En décembre, la directrice de l’organisation affirmait recevoir « beaucoup d’appels » - alors que le gouvernement continue de nier l’existence même du problème. L’homosexualité ? Toujours punie d’au moins deux ans d’emprisonnement par l’article 135 du code pénal. L’emprisonnement arbitraire ? La torture ? Toujours fréquentes (voir pages suivantes).
Le discours officiel, lui, ne consiste qu’à rappeler que la Constitution turkmène protège tous les droits fondamentaux et que le pays n’a rien à se reprocher. Depuis son élection, Berdymouhamedov a développé une rhétorique bien rôdée sur les droits de l’homme. Pas une semaine ne passe sans qu’un discours présidentiel ne mentionne l’importance « fondamentale » des droits et des libertés des citoyens, considérés comme rien de moins que « la priorité de la politique nationale ». Il établit notamment des institutions. Une Commission nationale pour enregistrer les plaintes des citoyens à l’égard des activités des agences chargées de faire appliquer la loi (qui pourrait servir en réalité à identifier les mécontents pour mieux les faire taire), une Commission interministérielle chargée de veiller à l’exécution des obligations internationales du Turkménistan dans le domaine des droits de l’homme (qui prépare des arguments pour dissimuler et déguiser les violations des droits de l’homme), etc.
Ce qu’a compris Berdymouhamedov n’est pas qu’il est urgent et important d’améliorer la situation, mais qu’il faut répondre aux critiques internationales et calmer le jeu. Le principe de l’institution « fantôme » dont le but est de faire illusion, créée pour exister et être citée davantage que pour fonctionner et produire des résultats, n’est pas nouveau. Niyazov avait fondé la première d’entre elles : l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme, en 1996.
La communauté internationale, elle, réagit mollement, et le rapprochement entamé par la Commission européenne, l’OSCE ou l’ONU n’est pas toujours bien compris de la part des organisations de défense des droits de l’homme, qui reprochent aux politiques de faire passer leurs intérêts économiques, en l’occurrence leurs besoins énergétiques (le Turkménistan a les 4ème réserves mondiales de gaz) avant leurs valeurs morales. Ce rapprochement, pourtant, n’est pas un mauvais calcul. La stratégie du bâton ne fonctionne pas. Il faut donner sa chance à celle de la carotte. Et penser d’abord et avant tout aux intérêts de la population turkmène, qui ne s’en tirerait certainement pas mieux si son pays était encore plus isolé et coupé du monde qu’il ne l’est déjà. Faire pression sur un gouvernement implique d’avoir des leviers, des liens, une présence. C’est par l’intégration que, peu à peu – trop lentement c’est évident – le Turkménistan devra faire des efforts.
ENQUETE
Le gros business carcéral
Le système pénitentiaire turkmène est un monde opaque, largement surpeuplé, interdit d’accès au Comité international de la Croix-Rouge et dans lequel les libérations sont tarifées avant d’être médiatisées.
La peine de mort au Turkménistan a été abolie en décembre 1999 mais « elle a été remplacée par une peine de mort "lente" », estimait il y a quelques années le rapporteur de l’OSCE et professeur de droit international Emmanuel Decaux : la prison.
Il y a dans le pays environ 22 établissements pénitentiaires, dont 12 colonies de différents niveaux de sécurité, 6 établissements de détention préventive, 2 centres de thérapie, un hôpital pour patients détenus et une prison militaire – auxquels il faut ajouter 53 installations de détention préventive dans les stations de police et deux centres de détention supervisés par le ministère de la Sécurité Nationale (ex-KGB) . Il y aurait 26 720 détenus dans les seules colonies, pour une capacité théorique de 8 100 places : les prisons turkmènes sont surpeuplées et le pays a un taux d’emprisonnement de 534 pour 100 000 habitants, beaucoup plus élevé que la moyenne régionale.
Sous Berdymouhamedov comme sous Niyazov, le Turkménistan emprisonne à tours de bras, non seulement des dissidents, opposants politiques, journalistes indépendants, membres de la société civile et des minorités, mais également des membres du gouvernement, un grand nombre de ministres qui se retrouvent du jour au lendemain accusés de corruption ou autre parce que l’on veut se débarrasser d’eux, et surtout le tout-venant, des citoyens ordinaires, qui constituent l’immense majorité des incarcérés.
Leur grand nombre s’explique par plusieurs facteurs, dont la punition collective (un individu n’est jamais puni seul : sa famille et ses proches tombent avec lui) et la définition très vague de certains crimes : « mettre ses intérêts personnels plus haut que ceux de la nation », « répandre le doute au sein de la population sur la politique du président » et « tenter de créer des contradictions entre le peuple et l’Etat », tout cela constitue de la haute trahison selon le décret du 3 février 2003 et est punissable de l’emprisonnement à vie. Depuis l’indépendance, et en dépit de ses demandes répétées, le CICR n’a jamais pu accéder aux prisons turkmènes. Les gardiens sont pour la plupart des conscrits militaires, et le gouvernement dépense 8$ par mois et par prisonnier. La surpopulation a plusieurs conséquences. D’abord, l’insuffisance de nourriture. Decaux cite plusieurs sources qui confirment que, dans certains établissements, les prisonniers mangent des chats et des chiens. En 1997, dans la prison de Turkmenbachi, un cadavre de chat se monnayait 6,5$. Ensuite, l’entassement : un ancien prisonnier explique que « dans les cellules d’isolation, qui font 4 mètres par 6, [il] y a habituellement 40 personnes et [de mai à septembre] les températures atteignent 65 degrés Celsius ». « Durant les étés, dans les cellules surpeuplées, les gens meurent par manque d’oxygène ». L’aide médicale est également insuffisante, alors que les maladies infectieuses sont répandues.
L’usage de la torture est répandu, routinier, voire systématique. Les détenus sont affamés, battus, violés et drogués, pour les pousser aux aveux. Ces « confessions » sont ensuite utilisées par les tribunaux. La torture est également psychologique : on montre la vidéo de la torture d’un parent.
Il faut pour finir dissiper un malentendu important. Les médias occidentaux se félicitent régulièrement des amnisties massives, qui d’ailleurs ne sont pas propres au nouveau président puisque 60 000 personnes ont été amnistiées entre 1991 et 1998. C’est une tradition : il y a en principe quatre amnisties par an, à l’occasion de fêtes nationales. En 2009, par exemple, 7 879 prisonniers ont été graciés. Mais de quoi s’agit-il exactement ? D’un commerce. L’emprisonnement est un business. On ne va pas en prison parce qu’on a commis un crime, mais parce qu’on a les moyens d’en sortir. Avec un « tarif » de libération variant entre 200 à 40 000$, les amnisties rapportent environ 200 millions de dollars par an, estime un diplomate. C’est également l’occasion de faire de la communication politique, puisque la télévision diffuse en boucle les remerciements des détenus graciés et de leurs familles émues, véritables symboles de la clémence et de l’humanité du président. Il faut en outre en relativiser la portée : ces libérations ne concernent que les petits larcins, non les prisonniers politiques et de conscience, et en valeur absolue le gouvernement emprisonne davantage qu’il ne libère.
ANALYSE
Un pays fermé aux ONG
Comment enquêter dans un pays très difficile d’accès ? Comment récolter des témoignages sans mettre en danger ses sources d’information ? Comment gérer les relations avec un régime autoritaire ? Neuf ONG ont répondu à un questionnaire sur ce sujet.
Les difficultés rencontrées par ces organisations sont toujours les mêmes : elles n’ont tout simplement pas d’accès direct et officiel au pays, et manquent donc d’information et de documentation. Le gouvernement turkmène refuse de leur délivrer des visas, voire de leur répondre. Elles doivent alors s’appuyer sur des contacts locaux, ce qui implique un second problème : tous soulignent le risque que ces quelques Turkmènes prennent en leur transmettant des informations. « Notre priorité, affirme HRW, est de ne pas mettre en danger ceux qui travaillent sur place ». « Nous devons prendre des mesures extrêmes pour protéger leur anonymat », ajoute Crude Accountability.
RFE/RL a un réseau clandestin de correspondants locaux mais « les autorités turkmènes coupent leurs lignes de téléphone (fixe et mobile) : ils doivent donc fréquemment changer d’abonnements. Ils travaillent dans des conditions extrêmes et sont constamment harcelés et persécutés par les agents de la sécurité nationale ». RSF confie s’appuyer parfois sur « des sources qui ont la possibilité de voyager hors du Turkménistan et de nous transmettre de l’information à cette occasion ». Mais tous ne peuvent pas sortir. Les correspondants (réels ou supposés) de RFE/RL sont sur des listes noires et ne peuvent pas quitter le pays. Le blocus est également appliqué dans le sens inverse : « récemment, Allamourad Rakhomov, l’un de nos journalistes basés à Prague, a été empêché d’entrer dans le pays à l’aéroport d’Achgabat alors qu’il disposait d’un visa valide ».
Le cas de MSF est différent puisque, contrairement aux autres organisations, leur présence était autorisée dans le pays depuis dix ans, jusqu’à leur départ en décembre 2009. Mais – et c’est l’une des raisons de leur renoncement – il y a une différence de taille entre autoriser une organisation à être symboliquement présente et lui permettre de travailler. « Les personnels médicaux internationaux de MSF n’étaient pas autorisés à toucher les patients et la plupart du temps ils étaient également incapables d’influencer l’encadrement et le traitement alors même qu’ils étaient témoins de pratiques incorrectes ou non éthiques » explique leur attachée de presse à Berlin. MSF n’était pas non plus autorisé à utiliser des tests rapides de dépistage du VIH, faire des évaluations des besoins et choisir des programmes adaptés. Le tout se déroulant dans « un environnement institutionnel encourageant la peur des répercussions lorsque sont rapportés des problèmes, et dans lequel la prise de décision est très lente, compliquée et souvent inefficace ».
Dans ces conditions, il est difficile d’obtenir des informations fiables sur la situation réelle. Toutes les organisations interrogées en ont conscience et font leur possible pour croiser les sources : « nous avons le devoir de vérifier la véracité de toutes les informations que nous recevons et de ne publier que ce que nous croyons être véritable », explique Forum 18. Toutes, également, disent leur méfiance à l’égard des données officielles, qui sont invérifiables et souvent fantaisistes. Interroger des fonctionnaires n’est pas non plus une solution : « ils sont en général réticents à dire quoi que ce soit et ont sans doute peur d’être punis s’ils parlent ».
Ces organisations sont des observateurs attentifs de la situation au Turkménistan depuis des années. Elles sont unanimes pour dire que Berdymouhamedov – dont les médias et les politiques occidentaux exagèrent la « rupture » - se place en réalité dans la stricte continuité de Niyazov et qu’il n’y a donc, dans les relations avec les ONG internationales comme en matière de droits de l’homme, aucune évolution majeure. Le départ de MSF, qui a survécu à Niyazov mais pas à son successeur, est la preuve que c’est même « devenu pire », selon l’une des organisations consultées qui a souhaité garder l’anonymat. Dans les relations avec les ONG internationales, Crude Accoutability parle également d’une « évolution négative ».
Pourtant, dans certains secteurs, il est indéniable qu’il y a eu des progrès. Il y a moins de restrictions à la liberté de mouvement, par exemple, reconnaît RFE/RL. Berdymouhamedov a également revalorisé les retraites et allongé la durée de scolarité obligatoire, ajoute HRW. Mais pour le reste, et notamment l’emprisonnement arbitraire et l’absence de libertés d’opinion et de la presse, les organisations consultées sont unanimes pour dire qu’aucun progrès n’a été accompli.
Cette conclusion va naturellement à l’encontre du discours officiel, non seulement turkmène, mais aussi des Etats qui ont un intérêt à commercer avec le Turkménistan. « La Commission européenne et le Conseil de l’Europe exercent en ce moment de fortes pressions pour détendre la politique à l’égard du Turkménistan, en dépit de l’absence de progrès dans le domaine des droits de l’homme. La raison se trouve naturellement dans les réserves de gaz du pays et l’espoir qu’il fournisse le futur gazoduc Nabucco », estime Global Witness. Crude Accoutability va dans le même sens : « la situation ne s’améliore pas et les gouvernements et les entreprises occidentales semblent vouloir ignorer les problèmes de droits de l’homme pour mieux obtenir des contrats gaziers ».
L’Europe n’est pas la seule à être épinglée. Le service turkmène de RFE/RL souligne que « les gens ordinaires au Turkménistan sont déçus des activités des organisations internationales telles que l’OSCE et l’ONU, qui ont un bureau à Achgabat. Plutôt que de soutenir la société civile, elles s’efforcent surtout de conserver de bonnes relations avec le gouvernement ».
Pour finir, RSF fait une suggestion intéressante : « que les autorités turkmènes désignent dans leur rang un interlocuteur de référence auquel les ONG internationales pourraient s’adresser ». Reste que Berdymouhamedov est déjà passé maître dans l’art de créer des institutions fantômes. On peut imaginer que cet interlocuteur ne ferait rien d’autre que relayer la langue de bois officielle, mais au moins les ONG internationales auraient quelqu’un à qui parler et, en rendant publiques les promesses qu’il ne manquerait pas de faire, elles révéleraient avec davantage de force l’amer décalage qui existe au Turkménistan entre le discours et les actes.
INTERVIEW
d’Andrea Strasser-Camagni, de l’équipe « Europe et Asie Centrale » du secrétariat international d’Amnesty International à Londres.
Quels problèmes rencontrez-vous lorsque vous travaillez sur le Turkménistan ? Le principal problème pour les ONG internationales de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International est que nous n’avons toujours pas accès au Turkménistan. Le gouvernement turkmène continue d’ignorer nos demandes de visa et nos tentatives de communication restent en général sans réponses.
Comment obtenez-vous vos informations et comment évaluez-vous leur fiabilité ? Nos informations proviennent de sources diverses et hétérogènes : les médias, des rapports d’ONG (internationales, locales, en exil), des organisations internationales, des rapports gouvernementaux, etc. Nos critères d’évaluation sont la pluralité et l’hétérogénéité des sources, leur contexte idéologico-politique, le fait qu’elles se confirment les unes les autres, leur précision, leur pertinence et leur impartialité. Dans tous les cas, obtenir des informations sur les violations des droits de l’homme est difficile et chronophage. L’une des difficultés concerne la sécurité des locaux : ceux qui fournissent des informations, et leurs familles, risquent d’être harcelés par les autorités. Ils doivent utiliser des technologies de l’information hautement sécurisées pour communiquer avec le monde extérieur.
Diriez-vous qu’il y a une évolution dans la relation que l’Etat turkmène entretient avec les ONG internationales depuis que Berdymouhamedov est au pouvoir ? Je ne peux parler que pour les ONG internationales de défense des droits de l’homme : non, nous ne voyons aucune amélioration. Amnesty International n’a toujours pas accès au pays, et nos demandes adressées au gouvernement restent ignorées.
Et, plus généralement, diriez-vous qu’il y a une évolution de la situation des droits de l’homme sur place ? Le gouvernement de Berdymouhamedov a corrigé certaines des politiques de son prédécesseur. Amnesty International accueille favorablement les récentes réformes du code pénal et les premiers pas qui ont été faits pour abolir le système de parti unique dans le pays. Mais on ne sait toujours pas ce que sont devenues des douzaines de victimes de disparition forcée en 2002. Les prisonniers de conscience continuent d’être emprisonnés parce qu’ils expriment pacifiquement leurs croyances. Les libertés d’expression, d’association, de religion et de mouvement continuent d’être restreintes. Amnesty International a demandé au Président Berdymouhamedov de se montrer à la hauteur de ses promesses en mettant un terme rapide aux disparitions forcées, en relâchant les prisonniers de conscience, garantissant des procès équitables, abolissant l’usage de la torture et d’autres mauvais traitements, et en supprimant les restrictions de la liberté religieuse et de la liberté d’expression.