Les interventions militaires en Libye et en Côte d’Ivoire sont partout présentées comme la consécration de la « responsabilité de protéger », c’est-à-dire l’idée que la communauté internationale doit intervenir pour prévenir ou faire cesser les violations graves et massives des droits de l’homme. Le concept est tiré d’un rapport déposé par une Commission internationale en 2001 et l’on dit qu’il existe « juridiquement » depuis son adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2005. Qu’en est-il réellement ?
Les interventions militaires en Libye et en Côte d’Ivoire sont partout présentées comme la consécration de la « responsabilité de protéger », c’est-à-dire l’idée que la communauté internationale doit intervenir pour prévenir ou faire cesser les violations graves et massives des droits de l’homme. Le concept est tiré d’un rapport déposé par une Commission internationale en 2001 et l’on dit qu’il existe « juridiquement » depuis son adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2005. Qu’en est-il réellement ?
Les Américains avaient déjà tenté de l’utiliser pour justifier leur intervention illégale en Irak en 2003, et Bernard Kouchner pour défendre, en vain, une opération militaire en Birmanie en 2008. Ce printemps, l’actualité lui donne un nouvel écho. Mais de quelle responsabilité parle-t-on ?
En principe, une responsabilité est une obligation. Elle n’implique pas de pouvoir intervenir quand ça nous arrange, mais de devoir le faire. Or, le rapport de 2001 se garde bien de parler de devoir – sans doute parce que le mot est historiquement connoté, il rappellerait trop le « fardeau de l’homme blanc », ces missions civilisatrices de la colonisation – et il ne défend qu’un droit d’intervenir à certaines conditions, ce qui est très différent.
Le texte adopté par l’ONU quatre ans plus tard est encore moins audacieux. Il abandonne l’idée d’un usage raisonné du droit de veto en situation de catastrophe humanitaire, qu’avait défendue le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine dès 1999. Il transforme également la responsabilité « collective » en « onusienne », et exclut du même coup la possibilité d’intervenir malgré le blocage du Conseil de sécurité, comme c’était le cas de l’intervention « illégale mais légitime » au Kosovo. Et, surtout, il entérine l’absence de responsabilité.
Lors des négociations, l’ambassadeur américain à l’ONU a insisté pour épurer le contenu de toute référence à une obligation juridique d’intervenir. Il a obtenu gain de cause. Le document final affirme que « c’est à chaque Etat qu’il incombe de protéger ses populations ». Il n’y a là rien de nouveau puisque cette responsabilité interne figurait déjà dans la Convention sur le génocide de 1948. Qu’en est-il de la responsabilité externe, celle de la communauté internationale, qu’on nous promettait ? Les Etats se disent « prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité ». Mais être prêt à faire quelque chose, ce n’est toujours pas devoir le faire. Où est donc la responsabilité ?
La formule remporte un franc succès médiatique, beaucoup affirmant qu’elle sert de fondement aux résolutions 1973 et 1975 autorisant les interventions en Libye et en Côte d’Ivoire – ce qui est faux. Elles ne s’appuient que sur la responsabilité interne des Etats de protéger leur population respective et ne parlent nulle part d’une responsabilité de la communauté internationale d’intervenir. Le fondement est, comme d’habitude, le maintien de la paix et de la sécurité.
Cela n’empêche pas ces interventions d’être légales et légitimes car, pour cela, elles n’ont nul besoin d’être décrites comme la consécration d’une improbable responsabilité de protéger. Il suffit qu’elles soient conduites dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité et qu’elles sauvent davantage de personnes qu’elles n’en tuent – ce que l’avenir nous dira.