Si la prohibition de l’usage de la force dans la charte des Nations unies peut à juste titre être considérée comme l’aboutissement le plus important du droit international contemporain, il reste trois manières légales d’utiliser la force armée : le consentement de l’État hôte, la légitime défense et l’autorisation du Conseil de sécurité.
Si la prohibition de l’usage de la force dans la charte des Nations unies peut à juste titre être considérée comme l’aboutissement le plus important du droit international contemporain, il reste trois manières légales d’utiliser la force armée : le consentement de l’État hôte, la légitime défense et l’autorisation du Conseil de sécurité. Contrairement à un préjugé commun, la responsabilité de protéger n’est pas une quatrième exception : elle n’est pas un titre juridique permettant à un État d’intervenir unilatéralement sur le territoire d’un autre, puisqu’elle requiert toujours une autorisation du Conseil de sécurité. Les récentes interventions françaises rentrent dans ce cadre puisqu’elles se sont faites soit avec le consentement de l’État hôte (Mali, République centrafricaine, Irak), soit avec l’autorisation du Conseil de sécurité (Libye), soit encore en vertu de la légitime défense (Syrie).
Le cas syrien donne lieu toutefois à quelques arguties juridiques, puisque la légitime défense (art. 51 de la charte) ne s’applique en principe qu’aux États, alors que Daech est un acteur non étatique ; que, jusqu’au 13 novembre, il était difficile de prouver que la France faisait l’objet d’une menace imminente justifiant des frappes préemptives ; et que, Bachar Al Assad prétendant lui aussi combattre Daech, on peut se demander pourquoi ne pas s’allier avec lui et se reposer sur le fondement plus solide du consentement de l’État hôte.
Les réponses sont simples. Premièrement, Daech est un cas exceptionnel d’acteur non étatique ayant plusieurs attributs d’un État - appellation qu’il revendique d’ailleurs -, dont une véritable armée. Le Conseil de sécurité, qui l’a qualifié de « menace mondiale et sans précédent contre la paix et la sécurité internationales » , demande aux États membres de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre lui, dans une résolution du 20 novembre qui est un bel exemple d’ambiguïté puisqu’elle déploie tout le vocabulaire de l’autorisation d’usage de la force sans pour autant « autoriser » ou « décider » quoi que ce soit. Elle apporte au moins un soutien politique à l’intervention en cours.
Par ailleurs, la France considère que les attentats du 13 novembre constituent une agression armée lui permettant de fonder ses actions militaires sur la légitime défense individuelle - les actions antérieures étant fondées sur la légitime défense collective, c’est-à-dire en réponse à la demande d’assistance de l’Irak. Quelles que soient les résistances des juristes conservateurs qui en restent à une lecture littérale de l’article 51, comme si la menace était la même qu’en 1945, la pratique des États évolue et le droit de la légitime défense doit lui aussi s’adapter au terrorisme global, sans pour autant tomber dans les excès de l’administration Bush.
Troisièmement, si la France n’envisage pas de solliciter le consentement de Bachar Al Assad, ce n’est pas seulement pour des raisons morales (il est responsable de 400 000 morts, selon les casques blancs syriens), mais aussi par souci d’efficacité. Il fait en effet partie du problème plutôt que de la solution. Il a contribué à l’essor de Daech en libérant des dizaines de djihadistes dès 2011 pour diviser l’opposition et, contrairement à ce qu’il prétend, il ne combat pas ce groupe dont il a en réalité besoin. Il continue d’ailleurs de payer les fonctionnaires dans les zones contrôlées par Daech, à qui il achète des hydrocarbures.
Surtout, il s’est aliéné la majorité de la population syrienne, et la guerre civile qui a commencé contre lui continuera tant qu’il est au pouvoir. Il a plongé les Syriens dans un désespoir qui touche même sa communauté, et ne tient plus que grâce à Téhéran et Moscou. Son départ n’entraînerait pas un effondrement du régime, dont il est important de maintenir les institutions.
Quant aux Russes, nous attendons d’eux qu’ils ne bombardent pas les combattants non djihadistes, qui restent la solution au faux dilemme entre Bachar Al Assad et le chaos, et qu’ils acceptent de penser son départ - pas pour nous satisfaire, mais tout simplement parce que, tant qu’il restera, il n’y aura pas de règlement de la crise.