(avec Sandrine Bélier, Allain Bougrain-Dubourg, Florence Burgat, Aymeric Caron, Franz-Olivier Giesbert et Matthieu Ricard) - Plutôt que d’utiliser le porc ou la laïcité pour attiser la haine confessionnelle et diviser les Français, nous proposons une solution simple, défendue par ailleurs depuis longtemps par de nombreuses associations : l’instauration dans les cantines scolaires d’une alternative végétarienne systématique, c’est-à-dire à tous les repas, et pas seulement lorsque du porc est proposé.
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Le débat sur la laïcité et le « vivre ensemble » a donc fait irruption dans nos assiettes. A en croire certains, il y aurait en effet une façon « française et républicaine » de manger. Au nom de cette laïcité culinaire, Gilles Platret, le maire UMP de Chalon-sur-Saône, a annoncé la semaine dernière qu’il mettra fin au menu de substitution dans les cantines scolaires de sa ville dès la prochaine rentrée. Depuis plus de 30 ans pourtant, dans cette ville comme dans tant d’autres aujourd’hui, des menus alternatifs étaient proposés aux plats contenant du porc. Cela ne posait de problème à personne. Mais c’est ainsi : dans les écoles de Chalon-sur-Saône, les enfants seront dorénavant priés de manger « comme tout le monde », ou d’aller manger ailleurs. « Si vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles, vous allez dans l’enseignement privé confessionnel », a aussitôt soutenu Nicolas Sarkozy.
Cette prise de position du président de l’UMP a étonné et choqué jusque parmi ses proches. Et pour cause : comment dénoncer d’un côté la communautarisation de certains Français musulmans et inviter de l’autre, par des mesures de ce genre, ces mêmes musulmans à quitter les écoles publiques pour se regrouper dans des établissements confessionnels ? L’instrumentalisation du dossier des cantines en vue de séduire les électeurs du Front National est trop grossière pour être convaincante.
Que vient faire la laïcité là-dedans ? Comme l’ont immédiatement relevé de nombreux élus et observateurs, le principe laïque n’implique nullement d’imposer un menu unique aux enfants, au mépris des différences et des préférences individuelles.
C’est la raison pour laquelle il faut aujourd’hui dépasser ce faux débat : plutôt que d’utiliser le porc ou la laïcité pour attiser la haine confessionnelle et diviser les Français, nous proposons une solution simple, défendue par ailleurs depuis longtemps par de nombreuses associations : l’instauration dans les cantines scolaires d’une alternative végétarienne systématique, c’est-à-dire à tous les repas, et pas seulement lorsque du porc est proposé.
Loin d’être dogmatique, notre proposition est avant tout pragmatique : le repas végétarien est en effet celui qui convient au plus grand nombre – musulmans, juifs, chrétiens, athées ou autres. Pour être tout à fait juste et efficace, il conviendrait d’ailleurs que cette alternative sans viande et sans poisson exclue également le lait et les œufs, afin de satisfaire les végétaliens. Ceux-ci s’insurgent contre les conditions déplorables et barbares dans lesquelles la plupart des poules pondeuses et des vaches laitières sont maintenues, et l’imbrication de l’industrie laitière et de celle de la viande, puisque pour produire du lait une vache doit avoir un veau, destiné à l’abattoir.
Le plat végétarien, et à plus forte raison végétalien, est donc une solution laïque et œcuménique aux préférences alimentaires des uns et des autres, qui a par ailleurs le mérite de représenter l’alternative la plus simple pour les collectivités locales qui ne peuvent satisfaire des contraintes et des préférences alimentaires multiples. Le repas végétarien, quant à lui, réunit tout le monde, au lieu de diviser et d’exclure. Loin des considérations religieuses, il permet également de répondre aux convictions de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui refusent de manger des animaux pour des raisons éthiques, c’est-à-dire par souci du bien-être animal et respect de la vie sensible. Pourquoi forcer leurs enfants à manger de la viande ou du poisson à l’école ?
Laisser le choix aux enfants est tout ce que nous demandons : il ne s’agit pas de les empêcher de manger de la viande s’ils le souhaitent, mais de leur permettre de ne pas le faire. L’alternative végétarienne n’enlève rien aux non-végétariens, tandis que le menu unique ôte à ceux qui ne mangent pas de viande, ou qui refusent simplement le porc, le droit d’avoir un repas équilibré, qu’ils ont pourtant payé comme les autres. C’est discriminatoire et injuste.
En France, ni la loi du 27 juillet 2010 dite « Loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche », ni le décret ou l’arrêté du 30 septembre 2011 dits « relatifs à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire », ne mentionnent l’alternative végétarienne. Pire, il apparaît clairement que l’Etat entend faire croire que toutes les sources de protéines ne seraient qu’animales. Or, la France semble bel et bien être unique en son genre en Europe. Dans aucun autre Etat membre, il n’y a de loi ni décret ayant une portée contraignante où le régime carné est tant sacralisé.
L’alternative végétarienne a en outre de multiples bienfaits.
Premièrement, elle est un facteur de cohésion sociale puisqu’elle réunit autour de la même table tous les enfants, qui ne sont plus stigmatisés selon leur religion ou leurs convictions. Indifférenciés, on ne distingue plus le musulman ou le juif qui évite le porc du végétarien qui évite la viande.
Deuxièmement, elle est bonne pour la santé. Il faut rassurer les parents : contrairement aux préjugés encore en cours, un régime végétarien ou même végétalien n’entraîne aucune carence, à partir du moment où il est équilibré. Les protéines sont bien présentes dans les végétaux, et parfois en quantité, comme le montre l’exemple du soja. Des préparations comme le tofu, le tempeh ou le seitan, peu ou mal connues en France, représentent d’excellentes alternatives aux produits carnés – et, bien accommodés, ces aliments sont aussi un plaisir pour le palais ! C’est au contraire la consommation excessive de viande qui est source de différentes maladies, notamment sur le plan cardio-vasculaire, et d’autant plus lorsque cette viande est issue d’un processus industriel.
Troisièmement, l’alternative végétarienne est écologique. Alors que la France accueille en décembre la conférence internationale sur le climat (COP21), et que convaincre les Etats de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre est l’une des priorités de sa politique étrangère, il est impératif de commencer à agir sur l’une des causes majeures du changement climatique : la consommation de viande. Selon le dernier rapport de la FAO, l’élevage, qui est responsable de 60% des émissions de méthane, un gaz qui réchauffe 25 fois plus que le CO2, totalise à lui seul 14,5% de la production de gaz à effet de serre. Greenpeace ajoute que 80 % des déforestations en Amazonie sont causés par l’élevage de bétail. Les élevages sont aussi à l’origine d’une part importante de la pollution des sols et des rivières. Faire baisser la production de viande est donc une priorité absolue pour qui se soucie réellement de l’avenir de la planète.
Célébrer chaque année une journée sans viande – elle a eu lieu il y a quelques jours – ou proposer une fois par semaine un repas végétarien – comme dans les écoles du IIe arrondissement à Paris - ne suffit plus. Ces initiatives louables sont d’efficaces opérations de communication mais elles ne permettent pas de répondre concrètement aux exigences d’une gestion républicaine de la restauration en communauté. C’est pourquoi nous appelons aujourd’hui à ce que la loi française impose, au plus tôt, dans chaque cantine scolaire mais aussi dans les restaurants universitaires et les administrations, une alternative végétarienne voire végétalienne. Il s’agirait d’une avancée citoyenne majeure, et d’un geste fort en faveur de l’environnement et de ce « vivre ensemble » que tant invoquent sans rien faire pour le promouvoir.