Les vives réactions au mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar al-Bachir ont montré que cette décision a des enjeux complexes, dont il faut prendre toute la mesure. Le premier d’entre eux est ce que l’on pourrait appeler le dilemme ou le paradoxe de la paix et de la justice, problème classique des relations internationales. La décision de la CPI est assurément un progrès pour la justice, un soulagement pour les victimes et une avancée significative dans l’histoire du droit pénal international. La question est de savoir si c’est une bonne chose pour la paix.
Les vives réactions au mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar al-Bachir ont montré que cette décision a des enjeux complexes, dont il faut prendre toute la mesure.
Le premier d’entre eux est ce que l’on pourrait appeler le dilemme ou le paradoxe de la paix et de la justice, problème classique des relations internationales. La décision de la CPI est assurément un progrès pour la justice, un soulagement pour les victimes et une avancée significative dans l’histoire du droit pénal international. La question est de savoir si c’est une bonne chose pour la paix.
La formule « Pas de paix sans justice » résonne des Grands Lacs à Gaza et insiste à juste titre sur la nécessité de punir les coupables, réparer les torts et rendre justice, comme une condition au retour de la paix sociale et de la sécurité. Néanmoins, il y a des cas où la condition de la paix est au contraire la retenue de la justice. Lorsqu’un processus de paix ou de réconciliation est en cours ou que des lois d’amnistie ont été votées, le travail de la justice, légitime en soi, peut avoir comme effet de souffler sur les braises. La question est alors de savoir si la justice doit tenir compte des éventuels dommages collatéraux de ses travaux.
D’un point de vue de justice strictement pénale, dont le but est de poursuivre les présumés coupables, la réponse est négative puisque ces risques pour le futur n’amoindrissent en rien les actes commis par le passé. D’un point de vue de justice transitionnelle, qui prend en compte l’intérêt des victimes et de la société, la réponse est probablement positive puisque ces dommages collatéraux peuvent consister en de nouveaux massacres, des famines et d’autres déplacements de populations. En l’occurrence, la première réaction de Khartoum a été d’expulser une dizaine d’ONG dont le travail est absolument crucial pour la survie de centaines de milliers de personnes, ce qui n’augure rien de bon.
Le second enjeu majeur du mandat d’arrêt de la CPI est l’indépendance de la justice internationale. La Cour est en principe indépendante. Dans les faits, cependant, le Conseil de sécurité a le pouvoir de la saisir, de suspendre ses travaux, et même de voter des résolutions illicites pour se mettre à l’abri de la justice (rés. 1422 et 1487). La pression du politique sur la justice internationale existe. Quant à celle des médias, elle est bien connue, c’est ce que l’on nomme « l’effet CNN » : les images pèsent sur les opinions publiques qui, à leur tour, exercent une pression morale sur l’exécutif.
Ces deux enjeux sont liés puisqu’il peut sembler parfois nécessaire de limiter l’indépendance de la justice internationale pour préserver la paix et la sécurité. Certains Etats, notamment de l’Union africaine et de la Ligue arabe, annoncent qu’ils demanderont au Conseil de sécurité d’« interrompre » la procédure engagée contre Al-Bachir. Sur quoi repose cette demande et, surtout, a-t-elle des chances d’aboutir ?
L’article 16 du statut de la CPI permet effectivement au Conseil de sécurité de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux poursuites menées par elle, pour une durée de douze mois. Ce pouvoir de suspension est exceptionnel. À titre de comparaison, le Conseil de sécurité ne peut suspendre ni l’activité de la Cour internationale de justice, alors même qu’elle est l’organe judiciaire de l’ONU, ni celles des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, alors même qu’ils ont été créés par lui. Autrement dit, et le paradoxe n’est pas le moindre, le Conseil de sécurité semble avoir, vis-à-vis d’une juridiction en principe indépendante comme la CPI, davantage de pouvoir qu’il n’en a relativement aux juridictions auxquelles il est directement lié.
La suspension réclamée par certains Etats dans le cas du Darfour a dans les faits très peu de chances d’aboutir, pour au moins deux raisons. D’une part, parce que plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité n’y sont pas favorables et, d’autre part, parce qu’une telle suspension serait un désaveu, non seulement de la Cour, mais aussi du Conseil de sécurité lui-même, par lui-même. Il faut effectivement rappeler que c’est ce même Conseil qui, en 2005, avait déféré au procureur de la CPI la situation au Darfour. Comment pourrait-il, quatre ans plus tard, « regretter » que le procureur ait fait son travail ?
Le mandat d’arrêt de la CPI a des conséquences immédiates très limitées, puisqu’il est quasi impossible de le mettre en œuvre. Al-Bachir ne commettra pas l’imprudence de se rendre dans l’un des 108 Etats parties au Statut de Rome, et il n’est pas aussi isolé et affaibli que ne l’était Milosevic en juin 1999. La décision de la Cour n’a peut-être pour l’instant qu’une portée symbolique. L’important est qu’elle ne gêne pas la recherche d’une solution politique. Les efforts en vue de relancer le processus de paix peuvent et doivent impérativement se poursuivre, sans chercher davantage à gagner le temps que d’autres mettent à mourir.