La légitimité de l’intervention se déduit de deux arguments. Le premier est qu’il y avait de « bonnes » raisons d’intervenir – bonnes pas seulement pour nous, mais pour le plus grand nombre : empêcher la création d’une zone franche terroriste au Sahel et l’afghanisation du Mali ; empêcher la barbarie de la charia, imposée à une population qui ne l’a pas demandée ; et stopper l’afflux de réfugiés. A cela s’ajoute une raison d’intérêt national que personne ne conteste : l’obligation non seulement morale mais aussi juridique qu’a l’Etat français de protéger ses ressortissants. Le second argument est le consensus quasi-planétaire que suscite l’intervention, qui a reçu un soutien diplomatique de l’ONU, l’UE, l’UA, l’Organisation de la coopération islamique, l’Algérie, les Etats-Unis, la Russie, etc., et un soutien militaire (transport, ravitaillement, surveillance) d’une douzaine de pays.
Dans l’article secret de Vers la paix perpétuelle (1795), secret parce que le souverain pourrait trouver compromettant de le reconnaître, Kant affirme que « les maximes des philosophes sur les conditions de possibilité de la paix publique doivent être consultées par les Etats armés pour la guerre » (AK VIII 368).
A ceux qui demandent dans quelle mesure est légitime l’intervention française au Mali, il faut répondre en distinguant, comme on le fait depuis l’antiquité, la question de la légalité de celle de la légitimité. Car une décision peut être légale mais illégitime (le droit positif peut être contesté au nom de ce qu’on a longtemps appelé le droit naturel, c’est-à-dire l’idée qu’on se fait de la justice et qui ne correspond pas forcément à la loi), ou « illégale mais légitime » comme il est d’usage de caractériser l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, par exemple.
Dans le cas du Mali, on pourrait parler d’une intervention « peut-être illégale, mais légitime ». Peut-être illégale car les trois arguments invoqués pour servir de base juridique sont faibles. La résolution 2085 du Conseil de sécurité n’autorise pas une intervention française mais « sous conduite africaine » (la MISMA, qui devrait être déployée d’ici deux semaines). L’agression armée contre laquelle l’article 51 de la Charte des Nations Unies permet de se défendre est généralement interprétée comme étant celle, externe, d’un autre Etat – pas celle, interne, d’un groupe rebelle. Et la demande officielle du président malien par interim à la France, dans sa lettre du 10 janvier, manque encore de légitimité démocratique pour constituer une base solide puisqu’il est issu d’un coup d’Etat.
En revanche, la légitimité de l’intervention se déduit de deux arguments. Le premier est qu’il y avait de « bonnes » raisons d’intervenir – bonnes pas seulement pour nous, mais pour le plus grand nombre : empêcher la création d’une zone franche terroriste au Sahel et l’afghanisation du Mali ; empêcher la barbarie de la charia, imposée à une population qui ne l’a pas demandée ; et stopper l’afflux de réfugiés (300 000 vers les pays voisins, 150 000 vers le sud). A cela s’ajoute une raison d’intérêt national que personne ne conteste : l’obligation non seulement morale mais aussi juridique qu’a l’Etat français de protéger ses ressortissants (ils sont 6000 au Mali).
Le second argument est le consensus quasi-planétaire que suscite l’intervention, qui a reçu un soutien diplomatique de l’ONU, l’UE, l’UA, l’Organisation de la coopération islamique, l’Algérie, les Etats-Unis, la Russie, etc., et un soutien militaire (transport, ravitaillement, surveillance) d’une douzaine de pays. Le soulagement de la population locale d’être libérée des djihadistes vient confirmer a posteriori cette légitimité, puisqu’il semble satisfaire le critère de consentement des victimes.
Face à ce concert des nations, les mêmes objections tournent en boucle dans les médias et les conversations. On dit que les armes des djihadistes sont héritées du chaos libyen, et que la crise malienne est donc le contrecoup de l’intervention en Libye. C’est en partie vrai, même si l’instabilité du Sahel dure depuis des décennies et ne date donc pas d’hier. Et alors ? Si cela devait rendre la France « responsable » de quelque chose, ce serait précisément d’assurer le service après-vente. En admettant que vous ayez contribué à allumer un feu – puisque c’est le cas dans l’esprit de ces accusateurs –, faudrait-il donc que vous ne tentiez pas de l’éteindre si vous êtes le seul à en avoir les moyens et la volonté ?
Ceux qui font profession de s’indigner et de s’opposer à toute intervention, en Libye comme au Mali, ne disent évidemment pas ce qu’il aurait fallu faire d’autre face à Kadhafi massacrant son peuple et face à l’avancée inexorable des djihadistes vers Bamako, qui se serait vraisemblablement terminée dans un bain de sang.
On dit aussi que la France a des intérêts moins avouables, en particulier celui de protéger les mines d’uranium du Niger voisin. Et alors ? Les « bonnes » raisons d’intervenir, qui sont consensuelles, disparaissent-elles comme par magie parce que l’intervenant a aussi un intérêt national ? Fallait-il donc laisser les djihadistes prendre Bamako pour que surtout la France ne sécurise pas ses mines au Niger ? Cette critique est naïve en ce qu’elle présuppose que l’Etat peut être désintéressé lorsqu’il risque la vie de ses hommes et dépense des centaines de millions d’euros dans des opérations à l’étranger. Elle est dangereuse puisqu’elle recommande la politique du pire.
Que la France ait aussi des intérêts nationaux ne nuit pas à la réalisation des objectifs sur lesquels tout le monde s’entend : cela lui donne au contraire davantage de raisons d’être efficace, donc de chances de réussir. Plutôt que de s’indigner inutilement que les Etats soient égoïstes – ce qui est dans leur nature puisque leur raison d’être est de protéger les intérêts de leurs propres citoyens –, il faut utiliser cet avantage, car c’en est un.
C’est d’ailleurs ce que Kant fait, lorsqu’il vise la paix perpétuelle : ce n’est pas en effet « par les ressorts de la moralité » qu’on pourra l’atteindre, mais en vertu même des « penchants égoïstes » de hommes, puisque le « pouvoir de l’argent » et « l’esprit de commerce », qui est incompatible avec la guerre, finissent par contraindre les Etats à promouvoir la paix (AK VIII 368). Que la France ait des intérêts stratégiques – ou les Etats-Unis qui profitent de l’occasion pour ouvrir une base au Niger pour surveiller non seulement le Sahel mais aussi le delta du Nigeria, l’un de leurs principaux fournisseurs de pétrole – ne nuit donc pas mais au contraire renforce la détermination collective à stabiliser la région.