Partant de la distinction aristotélicienne entre les trois piliers de l’argumentation, logos, ethos et pathos, nous proposons une analyse de l’argumentation cartésienne, telle qu’elle se dévoile dans l’intégralité de son œuvre et de sa correspondance. Le logos cartésien est fondé sur deux distinctions, logique et dialectique, analyse et synthèse, et par l’insuffisance de la démonstration appelle la persuasion. L’ethos cartésien est socratique : il se dévoile dans une scénographie platonicienne, il consiste notamment en une critique de l’érudition et de nombreux indices rappellent l’attitude de Socrate. Le pathos cartésien révèle un soin à la fois prédiscursif et discursif de l’auditoire, une rhétorique émotionnelle qui vise à toucher les sentiments du lecteur, et un jeu de la polémique qui manie l’art de la flatterie et de l’insulte. La conclusion, qui met en évidence la nature et le rôle de l’argumentation cartésienne vis-à-vis de sa philosophie, pose également la question de la sincérité de l’auteur, avant de livrer quelques suggestions herméneutiques.
L’analyse de l’argumentation cartésienne est dialectique, au sens hégélien du terme, et se dévoile dans un mouvement ternaire : une première lecture, qui s’en tiendrait dogmatiquement à la parole de Descartes, c’est-à-dire au Descartes sur l’argumentation, croirait avoir affaire à une pensée dualiste opposant irréductiblement argumentation et doctrine et, au-delà, logologie et ontologie, ou langage et pensée, pour conclure de toute évidence à « une philosophie sans rhétorique » [1] : La rhétorique n’a aucun rôle à jouer dans la rationalité qui vise la vérité, ou même elle joue le rôle d’obstacle, elle interfère [2]. C’est ainsi qu’on lisait Descartes.
Une seconde lecture, délibéremment sceptique, nierait tout simplement un tel « totalitarisme méthodologique » [3] en considérant le Descartes argumentant et concluerait avec autant d’assurance qu’en dépit de ses paroles contre la rhétorique – voire même en raison de celles-ci – le texte cartésien a non seulement une dimension mais aussi une visée argumentative. C’est ainsi qu’on le lit maintenant : il est devenu commun de montrer comment l’écriture cartésienne use autant de rhétorique qu’elle prétend ne pas le faire [4]. Mais en rester là, à cette dialectique négative, est s’en rendre à l’aporie, dont témoignent les difficultés que rencontrent ceux qui voudraient caractériser cette rhétorique cartésienne en la morcellant selon les approches, de la logique à la stylistique, alors que le texte les fusionne.
Une troisième lecture est donc nécessaire : elle montrerait que l’absence d’espace, dans le corps du texte, entre les différentes approches découpantes, c’est-à-dire, en dernière analyse, entre l’argumentation et l’écriture, est signe de la non instrumentalité de l’argumentation cartésienne. Ce qui signifie que l’on peut effectivement soutenir « une philosophie sans rhétorique instrumentale », au sein de laquelle ontologie et logologie sont intrinsèquement mêlées, comme en témoigne la structure logique du cogito [5]. Une argumentation qui ne fait qu’un avec la philosophie, une méthode qui est doctrine, un monisme dans l’ombre de la mathesis universalis : l’argumentation cartésienne, conformément à la dialectique hégélienne, doit être lue comme une production de la particularité de l’universel [6], et Descartes se montrera plus spinoziste qu’on pourrait le croire.
Afin de poser les premières pierres de cette troisième lecture, nous analyserons l’argumentation cartésienne à la lumière de la fameuse distinction aristotélicienne des trois éléments fondamentaux du discours que sont l’ethos, le pathos et le logos :
« Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes : les unes résident dans le caractère moral de l’orateur [ethos] ; d’autres dans la disposition de l’auditoire [pathos] ; d’autres enfin dans le discours lui-même, lorsqu’il est démonstratif, ou qu’il paraît l’être [logos] » [7].
L’argumentation est comme un cadeau que l’on offre (que A offre à B), et dont la réussite ne dépend pas que de l’objet offert (la démonstration, le logos), mais aussi de ce que B pense de A (ethos) et de l’effet que A pense que l’objet fera sur B (pathos). C’est ainsi que l’on peut aborder le discours cartésien.
Le logos est la démonstration, c’est-à-dire, en somme, la dimension logique du discours. Le logos cartésien mériterait à lui seul un article distinct. Contentons-nous ici d’en souligner trois aspects : deux distinctions et une insuffisance qui appelle précisément le développement du reste, l’ethos et le pathos.
On écrit ici et là qu’il y aurait chez Descartes une « Critique de la logique » [8]. Mais quiconque lit attentivement les textes ne trouvera jamais qu’une critique d’une certaine logique : celle « de l’Ecole », c’est-à-dire la dialectique. Descartes prend effectivement « dialectique » au sens large de logique syllogistique des Premiers Analytiques d’Aristote, et non au sens strict aristotélicien de logique des syllogismes dont les prémisses sont seulement probables (laquelle n’en est pas moins incluse dans la critique cartésienne). Une équivalence est donc établie entre « dialectique », « logique de l’Ecole » et « syllogistique », ces trois termes désignant, la plupart du temps par le premier d’entre eux, la mauvaise logique, par opposition à la bonne – ou la vraie [9] – logique, qui elle conserve son nom (la Logique). Aussi ne s’agit-il certainement pas d’une « critique de la logique », mais au contraire d’une critique de la dialectique au profit de la logique.
La critique de la vulgarem dialecticam consiste essentiellement en cinq accusations. Descartes reproche à la dialectique de n’avoir que faire de la vérité, c’est-à-dire de pouvoir se développer quelle que soit la valeur de vérité de ses propositions [10] ; de n’être pas même utile [11] ; d’être stérile, de n’apporter aucune connaissance nouvelle, c’est-à-dire de ne rien apprendre [12] ; de diviser sans considérer l’ensemble [13] ; et d’être un détour dont on peut se passer (il critique la longueur des syllogismes) [14].
Malgré tout, il lui reconnaît des qualités pédagogiques, grâce auxquelles il s’est lui-même exercé dans sa jeunesse [15]. En conclusion, il expulse la dialectique hors de la philosophie (qui ne doit jamais s’occuper que de vérité) vers la rhétorique : « D’où il ressort (…) par conséquent, que la dialectique telle qu’on l’entend communément est parfaitement inutile à ceux qui désirent explorer la vérité des choses, et qu’elle ne peut servir, à l’occasion, qu’à exposer plus facilement aux autres des raisonnements déjà connus ; et que, pour cette raison, il faut la transférer de la philosophie à la rhétorique » [16]. Depuis toujours rhétorique et dialectique entretiennent des relations complexes. La nature profondément hétérogène de la rhétorique aristotélicienne instaura dans l’histoire des tensions entre ses trois piliers : ethos, pathos et logos – ou, plus précisément, entre l’art de persuader (ethos et pathos) et l’art de raisonner (logos). Au cours de cette histoire, l’argument qui consiste à vouloir joindre la dialectique à la rhétorique fut récurent face à ceux qui voulurent isoler l’art de persuader du raisonnement. Avant Descartes, Georges de Trébizonde, Lorenzo Valla, Rudolf Agricola, Philippe Melanchthon et Johann Sturm écrivirent tous pour la reconnaissance de l’inclusion de la dialectique dans la rhétorique [17]. Reste que Descartes joint la dialectique à la rhétorique pour une tout autre raison : non pas pour en faire sa discipline, mais précisément pour la fuir. Il s’agit d’une expulsion de la dialectique (et donc aussi de la rhétorique) du philosophique, et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue.
C’est à la fin des Réponses aux Secondes Objections, avant l’exposé synthétique des preuves de l’existence de Dieu, que l’on trouve développée la distinction entre analyse et synthèse. Cette dichotomie est bien connue, contentons-nous ici d’en résumer la substance [18].
La vérité est la fin de l’analyse, qui « montre », mais le moyen de la synthèse, qui « démontre ». L’analyse montre l’invention et sa méthode, tandis que la synthèse démontre ce qui est déjà contenu dans ses conclusions, c’est-à-dire qu’elle n’apprend rien. L’analyse va de l’effet à la cause (procès régressif), elle est une logique adéquate au chronologique (puisque la cause vient après l’effet) : elle est donc chronologiquement première, c’est-à-dire a priori. La synthèse va de la cause à l’effet (procès progressif), elle est chronologiquement seconde, c’est-à-dire a posteriori. La synthèse fait preuve d’instrumentalité et de longueur, ce qui n’est pas le cas de l’analyse. L’effet sur le lecteur est une finalité de la synthèse (puisqu’elle est instrumentale), mais une conséquence seulement de l’analyse. L’analyse exige un lecteur consentant tandis que la synthèse peut se permettre un lecteur non consentant. L’analyse a pour effet l’intellection, la synthèse la conviction. Les limites de l’une désignent l’autre : l’analyse n’est pas propre à convaincre et elle ne s’adresse pas à un lecteur peu attentif ou opiniâtre, la synthèse le permet. Mais la synthèse n’est pas propre à satisfaire l’esprit – au sens de le rassasier (expleo) – et elle ne s’adresse pas à un lecteur qui désire apprendre. Ce qui signifie que pour qu’apparaisse la conclusion d’une démonstration analytique il faut être attentif à absolument tous ses éléments – car elle est comme une chaîne dont il suffit de n’avoir pas vu un seul maillon pour la rompre. Au contraire, le lecteur de la synthèse peut se permettre de laisser échapper un élément de la démonstration sans invalider la conclusion. En somme, la synthèse est moins exigeante et sa conclusion semble pour cette raison moins nécessaire. Descartes dit s’être servi exclusivement de l’analyse dans les Méditations. Les anciens géomètres se servaient exclusivement de la synthèse mais, selon l’auteur, ce n’était que pour mieux faire primer l’analyse. L’analyse s’applique à la métaphysique, mais aussi à la géométrie (qui peut le plus peut le moins). La synthèse ne s’applique qu’à la géométrie – et encore, seulement derrière l’analyse.
Comment cette distinction se répartit-elle dans les textes cartésiens eux-mêmes ? On trouvera l’analyse dans les Méditations bien entendu, mais aussi au début du discours huitième sur l’arc-en-ciel dans les Météores [19]. On trouvera la synthèse à la fin des Réponses aux Secondes Objections, dans Le Monde, les Principes et les Passions de l’âme. On notera particulièrement que la première partie des Principes est la version synthétique (pour l’enseignement) des Méditations (le malin génie s’est d’ailleurs perdu en route) [20].
Le XVIIème siècle, et Descartes le premier, rêvait de pouvoir ne se contenter que de la démonstration, dans « une langue universelle, fort aisée à apprendre, à prononcer et à écrire (…). Mais n’espérez pas de la voir jamais en usage » [21] : aucune langue ne sera jamais dans les faits assez claire pour que la démonstration, le logos épuré, soit suffisant. Parce que la langue universelle n’est qu’idéale, et que « Je sais qu’il est très malaisé d’entrer dans les pensées d’autrui, et l’expérience m’a fait connaître combien les miennes semblent difficiles à plusieurs » [22], la démonstration ne suffit pas : il faut lui joindre la persuasion. Descartes sait effectivement fort bien, pour en faire lui-même l’expérience, que l’assensio ne se donne guère sans la persuasio [23], et que la démonstration est la plupart du temps insuffisante à persuader [24]. Ce sera précisément l’objet du traité De l’art de persuader de Pascal que de développer la difficulté que l’évidence de la démonstration a à convaincre son destinataire. Ainsi l’insuffisance du logos appelle-t-il le reste : l’ethos et le pathos.
L’ethos est le caractère moral de l’orateur. L’ethos cartésien est donc l’image que Descartes présente de lui-même dans son texte et, nous allons le voir, cet ethos est socratique : il se dévoile dans une scénographie platonicienne, il consiste notamment en une critique de l’érudition et de nombreux indices rappellent l’attitude de Socrate.
L’ethos cartésien apparaît dans une scénographie platonicienne, composée d’éléments familiers : le théâtre, le dialogue, la polyphonie, l’impuissance du langage et la lutte contre la sophistique. C’est tout d’abord dans une perspective théâtrale que Descartes construit son personnage : « Les comédiens, appelés sur la scène, pour ne pas laisser voir la rougeur sur leur front, mettent un masque. Comme eux, au moment de monter sur ce théâtre du monde où, jusqu’ici, je n’ai été que spectateur, je m’avance masqué » [25]. En se qualifiant de spectateur, l’auteur évoque sa période de retrait de l’étude et des lettres, après La Flèche, pour guerroyer. Ainsi était-il présent au couronnement de l’empereur Ferdinand II à Francfort le 9 septembre 1619 « afin de ne pas ignorer ce que les premiers acteurs de ce monde représentent de plus pompeux sur le théâtre de l’univers » [26]. Le masque pourrait bien être celui de Polybius Cosmopolitanus qu’il évoque quelques lignes plus bas, et qu’Alquié interprète comme un pseudonyme [27]. Cette arrivée de l’acteur Descartes sur le théâtre du monde est salvatrice : il propose son « trésor mathématique » pour « résoudre toutes les difficultés de cette science, (…) pour secouer la paresse et condamner la témérité de certains » [28]. Le vocabulaire théâtral se trouve alors confirmé par le latin explodendam (ici traduit par « condamner ») qui signifie littéralement, comme le rappelle Alquié, siffler « comme on siffle un acteur » [29].
Descartes est devenu un personnage, derrière son pseudonyme, et se joue donc comme tel. Le goût cartésien pour le mythe (par exemple la fable du monde) [30] et, plus généralement, l’analogie (par exemple l’architecte) [31], confirme que la scénographie est platonicienne [32]. L’argumentation est introduite dans le théâtre grec (son troisième lieu, avec l’Assemblée et les tribunaux) par Eschyle qui substitue au monologue de l’acteur jouant Dyonisos face à un chœur un dialogue entre deux acteurs. Aussi cette théâtralisation appelle-t-elle le dialogue.
Il y a chez Descartes un dialogue : La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre platonicienne. Sa traduction en français (l’original était en français mais il ne nous reste que la copie latine) a d’ailleurs été en partie confiée en 1838 à M. Trianon, présenté comme « traducteur de plusieurs dialogues de Platon » [33]. La forme du dialogue s’inspire effectivement des modèles platoniciens et cicéroniens : P. France note combien Descartes se rapproche ici de l’utilisation qu’en feront Berkeley et Malebranche, sur l’horizon de Platon [34].
En face l’un de l’autre : Eudoxe (Descartes) et Epistémon (le scolastique). La référence à Platon se trouve confirmée par le choix du nom du premier, car Eudoxe a bel et bien existé : c’est à lui que Platon confie la direction de l’Académie lorsqu’il part aux environs de 367 av. J.-C. pour une seconde fois en Sicile, appelé par Dion. Le dialogue cartésien compte un troisième personnage, Poliandre (le vulgaire), qui joue le rôle du juge au tribunal du bon sens : Descartes mesure la crédibilité de ses positions face à celles de la scolastique. Le procédé est typiquement platonicien : « le dialogue veut former plutôt qu’informer » [35]. Et Eudoxe s’unifie à Socrate dans l’opposition : Eudoxe est au scolastique ce que Socrate est au sophiste. Et, parce que le scolastique est un rhéteur, c’est établir un parallèle entre les couples Descartes / rhéteurs et Socrate / sophistes. Epistémon est un rhéteur qui vit la discussion comme un combat : « je vous promets même de m’avouer vaincu aussitôt qu’il rendra les armes » [36].
N’y a-t-il, chez Descartes, qu’un dialogue ? Le dialogue cartésien déborde l’exemple explicite de la Recherche de la Vérité : il est aussi dans les Objections et Réponses, et même – voire surtout – dans les textes qui n’ont pas la forme apparente du dialogue, comme les Méditations [37]. La polyphonie du discours cartésien, c’est-à-dire sa division implicite en une pluralité de voix, se montre la plupart du temps être un dialogue (sous forme de questions / réponses) entre Descartes et la scolastique [38]. Cette polyphonie cartésienne rappelle la polyphonie platonicienne, dialogue entre Socrate et la sophistique [39].
Platon, notamment dans sa Lettre VII, dénonce « l’instrument impuissant qu’est le langage » [40]. Contrairement à ce qu’a pu en dire Chomsky, et ainsi qu’en témoignent les nombreuses critiques qui lui furent adressées, il est bien connu que Descartes ne fait pas grand cas du langage en tant que tel [41]. Le langage cartésien est un instrument, c’est-à-dire un simple moyen – ce qui lui sera reproché après le tournant linguistique du XXe siècle qui fait du langage non plus un moyen mais une fin. Et un moyen impuissant, de surcroît, dans la mesure où il se heurte la plupart du temps à l’ineffable, et ce notamment lorsqu’il rencontre l’idée de l’infini, c’est-à-dire l’idée de Dieu : « Deus est ineffabilis » [42]. Cependant, lorsque Descartes, sur la question de l’ineffabilité de Dieu, reprend explicitement saint Augustin [43], c’est pour relativiser cette assertion que Dieu soit ineffable ; il l’est en un sens seulement et, en un autre, il est le plus dicible [44]. La distinction réside en ceci : bien que nous ne puissions embrasser par des mots toutes les choses qui sont en Dieu, nous pouvons atteindre et exprimer beaucoup de choses, qui sont en Dieu ou s’y rapportent. D’un côté, donc, il s’agit d’embrasser par des mots la totalité, et de l’autre d’atteindre seulement et d’exprimer une partie, certes importante, de cette totalité, qui intègre maintenant, pour augmenter le champ du dicible, ce qui se rapporte à Dieu mais n’est pas forcément lui [45]. En conclusion, ce qui est ineffable est le dire Dieu, et ce qui est dicible est le dire de Dieu [46].
On sait combien les dialogues platoniciens, écrits après la mort de Socrate, sont en grande partie motivés par le désir qu’a Platon d’innocenter son maître en l’opposant aux sophistes avec lesquels il a été confondu : il ne s’agit essentiellement que de développer la distinction entre philosophie et sophistique. Dans une proportion évidemment réduite, on peut lire chez Descartes le même combat : celui du philosophe cartésien contre le rhéteur scolastique. Les sophistes et les poètes sont les rivaux du dialecticien platonicien [47]. Descartes tente précisément de distinguer sa philosophie de la rhétorique et de la poésie [48] dans un célèbre passage du Discours [49]. L’exclusion de la dialectique hors de la philosophie, dans la rhétorique, présuppose l’exclusion préalable de cette rhétorique hors de la philosophie : Descartes considère la rhétorique comme une technique, un « art libéral » [50] qui, n’ayant aucun souci de la vérité, n’appartient pas à la philosophie proprement dite.
Sa « philosophie sans rhétorique » se manifeste la plupart du temps en tant que « philosophie contre les philosophies avec rhétoriques » : Descartes s’attaque souvent à ses adversaires en leur reprochant d’utiliser des feintes et des déguisements de la rhétorique, tandis que lui incarnerait l’innocence de la véritable philosophie. Ainsi reproche-t-il à Gassendi de vouloir « donner aux choses le fard et les couleurs de la rhétorique », au lieu de « servir cette candeur philosophique » [51]. On remarquera que Descartes fait une double accusation : non seulement son adversaire n’est qu’un rhéteur et non un philosophe (ce que dès son introduction il soulignait : « encore que vous n’ayez pas tant employé les raisons d’un philosophe pour réfuter mes opinions que les artifices d’un orateur pour les éluder » [52]), mais encore est-il lui-même coupable du crime dont il accuse, et qui consiste précisément à ne point vouloir la candeur philosophique.
Au-delà de certains de ses contemporains (notamment Gassendi, Hobbes ou Voët), c’est Raymond Lulle, auteur d’un Ars brevis quae est imago Artis generalis, publié à Barcelone en 1481, qui incarne le rhéteur scolastique, c’est-à-dire l’adversaire. Descartes y fait référence au moins trois fois, et toujours pour s’en distancer : « je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait ou même, comme l’art de Lulle, à parler, sans jugement, de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre » [53] ; « je désire donner au public non un As brevis de Lulle, mais une science aux fondements nouveaux » [54] et, plus longuement, dans une lettre qui témoigne de l’intérêt que Descartes porte à la question [55].
La critique cartésienne de l’érudition se lit de deux manières : en genre, lorsque l’érudition dans son ensemble est visée, et en espèce, lorsque les cibles sont précisées être l’écriture et la lecture. Premièrement, donc, Descartes formule le projet d’un Traité de l’érudition contre l’érudition elle-même, comme en témoigne la correspondance avec Élisabeth [56]. Il en abandonne toutefois le dessein, et voici ses raisons : « La première est que je n’y saurais mettre toutes les vérités qui y devraient être, sans animer trop contre moi les gens de l’École, et que je ne me trouve point en telle condition que je puisse entièrement mépriser leur haine. La seconde est que j’ai déjà touché quelque chose de ce que j’avais envie d’y mettre, dans une préface qui est au-devant de la traduction française de mes Principes (…). La troisième est que j’ai maintenant un autre écrit entre les mains, (…) je considère ce qui me reste de cet hiver, comme le temps le plus tranquille que j’aurai peut-être de ma vie ; ce qui est cause que j’aime mieux l’employer à cette étude, qu’à une autre qui ne requiert pas tant d’attention » [57].
Y. Belaval suggère que ce traité projeté n’est autre que La Recherche de la Vérité [58]. A cette proposition, deux remarques. D’une part, dire que ce traité, qui donc n’était pas encore écrit le 31 janvier 1648, est la Recherche de la Vérité est d’emblée prendre position sur la datation discutée de ce dernier ouvrage, en présupposant, non seulement contre Adam (qui émet deux hypothèses, ouvrage de jeunesse ou de l’été 1641) [59] et Cantecor (ouvrage de jeunesse), mais aussi contre Gouhier (1647) [60], que la Recherche de la Vérité est postérieure au 31 janvier 1648, en accord cette fois avec l’hypothèse de Cassirer selon laquelle le dialogue aurait été écrit en Suède, soit dans les quatre mois entre début octobre 1649 et début février 1650 [61]. D’autre part, la pertinence de l’argument « victoire d’Eudoxe contre Epistémon » est discutable dans la mesure où si Epistémon incarne effectivement l’érudition scolastique, ce n’est pas Eudoxe – c’est-à-dire Descartes – qui représente son inverse, mais bien plutôt Poliandre, le vulgaire ignorant. L’argument aurait donc valu si la victoire avait été celle de Poliandre, c’est-à-dire celle de l’ignorance sur l’érudition.
Deuxièmement, vient donc la critique, plus spécifique, de l’écriture et de la lecture. Précisons d’emblée que la critique cartésienne de la lecture, ou du livre, qui est un locus communis de son œuvre et de sa vie, n’est pas celle de la lecture ou du livre en soi, mais de la mauvaise utilisation que l’on peut en faire [62]. C’est en évoquant, dans le Discours autobiographique, sa jeunesse à la Flèche que Descartes inaugure sa position, en opposant, selon un autre lieu commun, la lecture (et a fortiori celle des anciens) au voyage et à l’apprentissage de la vie : « je croyais avoir déjà donné assez de temps (…) à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c’est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles, que de voyager » [63]. Baillet, reprenant ce passage, souligne donc fort justement qu’il n’est pas question d’un mépris généralisé pour le livre en soi [64]. Mais si Baillet prend la peine de le préciser, c’est que Descartes après la Flèche (c’est-à-dire après 1613) quitte les livres : « sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l’étude des lettres ». Il ne se consacrera plus qu’au « livre du monde » [65].
Le reste de ses écrits témoigne du peu d’importance qu’il dit accorder à la lecture : « Je visite mes livres si peu souvent, qu’encore que je n’en aie que demi-douzaine, il y en a néanmoins un des vôtres qui s’est caché parmi eux plus de six mois, sans que je m’en sois aperçu » [66] écrit-il à Huygens. « La plupart des livres, quand on en a lu quelques lignes et regardé quelques figures, sont entièrement connus ; le reste n’est mis là que pour remplir le papier » [67] confie-t-il dans les Préambules. A la lecture passive, il substitue la pratique, l’expérimentation, qu’elle soit abstraite (les mathématiques) [68], ou appliquée, par exemple en anatomie : Baillet rapporte qu’« un gentilhomme (…) lui demanda à voir sa bibliothèque, et (…) il ne montra autre chose qu’un veau à la dissection duquel il allait travailler » [69].
Voyons maintenant le cas de l’écriture. Il y a chez Platon une fine critique de l’écriture, que la Lettre VII pose comme n’étant rien de moins que le fondement du platonisme. Sa position se révèle par le récit d’une affaire faisant suite à son deuxième échec politique : Denys de Syracuse, tyran sicilien qui s’avère finalement n’être pas ce Roi-philosophe que cherchait Platon, utilise l’enseignement oral de ce dernier pour légitimer son pouvoir, et entreprend de le rédiger pour en faire un Code civil. Platon est scandalisé pour deux raisons : d’une part, la rédaction de son enseignement est impossible (et même, en tant que critique de l’écriture, elle est une contradiction dans les termes : Denys montre donc de cette manière n’avoir pas compris ce qu’il écrit – puisque l’avoir compris impliquerait ne pas l’écrire). D’autre part, et quand bien même son enseignement aurait-il dû être rédigé, c’était certainement à Platon lui-même de le faire, et non à quelqu’un d’autre. La première raison est d’une importance fondamentale pour la compréhension de l’œuvre platonicienne : s’« il n’existe pas d’écrit qui soit de moi, et il n’en existera jamais non plus » [70], si donc le véritable enseignement de Platon n’est qu’oral, que sont les Dialogues qui constituent son œuvre ? Probablement seulement des exercices à l’attention des élèves : une simple stratégie pédagogique, comme nous le verrons bientôt. L’écriture ne doit servir qu’à se « ressouvenir » [71], elle est au plus un aide-mémoire.
Descartes – qui lui aussi joue le rôle de conseiller du prince auprès de deux femmes, la princesse Élisabeth de Bavière et la reine Christine de Suède – soutient également la supériorité de la parole sur l’écriture, précisément quant à la persuasion : « La parole a beaucoup plus de force pour persuader que l’écriture » [72]. Socrate ne dit pas autre chose dans le Phèdre [73]. Il nie, par conséquent, être un faiseur de livres : « il semble que vous me veuillez rendre par force faiseur et vendeur de livres, ce qui n’est ni mon humeur ni ma profession » [74]. Comme Platon, il met par écrit le peu qu’il sait, non par plaisir mais, devine-t-on, simplement pour s’en souvenir : « je prends beaucoup plus de plaisir à m’instruire moi-même, que non pas à mettre par écrit le peu que je sais » [75]. Et la plupart du temps seulement pour satisfaire les demandes de ses amis [76]. Car, pour lui-même, et de l’avis de Baillet, la paresse, la négligence, et même la répugnance sont sur le chemin de son écriture [77].
Il y a néanmoins chez Descartes un souci rhétorique au sens de rhétorique restreinte (c’est-à-dire d’art de l’ornement), dans son écriture comme dans celle des autres [78]. Le voici par exemple qui reproche à Regius son style [79]. Quant à sa propre écriture, Descartes ne la juge pas très bonne d’un point de vue littéraire, ainsi qu’en témoigne ce qu’il dit de ses envois à Guez de Balzac : « je ne les juge nullement digne que vous les lisiez, et (…) j’ai beaucoup plus honte devant vous de la rudesse de mon style et de la simplicité de mes pensées que devant les autres, qui ne les sauront pas si bien reconnaître ». P. France a sans doute raison de parler ici de fausse modestie [80]. La rudesse de son style et la simplicité de ses pensées entendent disculper Descartes d’être un écrivain professionnel, surtout quand il s’adresse à un écrivain professionnel (Guez de Balzac) qui critique la rationalisation à outrance aux dépens du style [81].
L’attitude de Descartes à l’égard de la publication témoigne cependant d’un double mouvement de prudence et d’assurance : il pense à publier la Dioptrique pour tester la réaction de l’opinion publique [82], mais manifeste en même temps une certaine assurance. Il écrit ainsi à l’un de ses anciens professeurs à La Flèche : « je ne sais pas de quelle façon ils pourront dorénavant les enseigner, comme ils font tous les ans en la plupart de vos collèges, s’ils ne réfutent ce que j’en ai écrit, ou s’ils ne le suivent » [83]. On devra désormais compter avec lui, et les manuels de scolastique ne pourront plus l’ignorer.
Descartes présente de nombreux aspects de l’attitude socratique : l’invitation à la réfutation, mais à une discussion et non une dispute, la forme aporétique, le par soi-même et la figure de la Silène, c’est-à-dire l’ignorance, l’ironie, la naïveté et la modestie.
Socrate invite ses adversaires à la réfutation, pour mieux déloger l’erreur éventuelle : « qu’est-ce que cette classe à laquelle j’appartiens ? C’est celle des hommes qui prendront plaisir à être réfutés, si je dis quelque chose qui n’est pas vrai ; mais qui prendront plaisir aussi à réfuter, si l’on dit quelque chose qui n’est pas vrai » [84]. Descartes procède de même : « comme je ne souhaite rien tant que d’éprouver la certitude de mes opinions, et de me confirmer dans leur vérité, si, après avoir été examinées par tous les savants, elles se trouvent à l’épreuve de leurs atteintes, ou d’être averti de mes erreurs, afin de m’en corriger » [85]. Reste que la réfutation socratique doit donner lieu à une discussion, et non une dispute : « Ce n’est pas la même chose, en effet : on discute entre amis avec bienveillance, mais on dispute entre rivaux et ennemis » [86]. Descartes semble bel et bien faire la même distinction, en préférant éviter l’oralité avec les disputeurs, et discuter avec les honnêtes hommes : « Je crois qu’on peut agir plus sûrement par lettres avec ceux qui aiment la dispute ; mais pour ceux qui aiment la vérité, l’entrevue et la vive voix sont bien commodes » [87].
Son aversion pour la dispute a essentiellement deux causes : l’objectif de sa philosophie (la certitude) et les moyens d’y parvenir (la méthode). D’une part, en effet, « Il y a déjà tant d’opinions en Philosophie qui ont de l’apparence, et qui peuvent être soutenues en dispute, que si les miennes n’ont rien de plus certain et ne peuvent être approuvées sans controverse, je ne les veux jamais publier » [88]. D’autre part, la dispute orale est une bien piètre méthode, et l’examen écrit lui est préférable : « on peut mieux trouver la vérité, en examinant à loisir, et de sens froid, deux écrits opposés sur un même sujet, que non pas en la chaleur de la dispute, où l’on n’a pas assez de temps pour peser les raisons de part et d’autre, et où la honte de paraître vaincus, si les nôtres étaient les plus faibles, nous en ôte souvent la volonté » [89]. Par ailleurs, il est certain que Descartes a un goût pour la discussion socratique, entre honnêtes hommes, comme le reconnaît P. France [90]. Passer de la réfutation à la discussion en évitant la dispute se fait notamment par ce moyen que conseillera Pascal : ne jamais dire à quelqu’un qu’il se trompe, lui dire seulement qu’il n’a vu qu’une partie de la vérité [91].
La thèse selon laquelle les dialogues platoniciens ne seraient que des exercices pédagogiques se trouve renforcée par leur caractère la plupart du temps aporétique : c’est au lecteur de prolonger par lui-même la direction que lui montre le maître. Or, il se trouve précisément que la forme aporétique n’est pas non plus étrangère aux écrits cartésiens : il faut inscrire l’effort pédagogique de Descartes dans une perspective argumentative. L’auteur laisse délibérément incomplets certains textes, pour que le lecteur trouve par lui-même la clef : « tout ce que je puis est de la leur montrer comme du doigt » [92]. Ainsi en est-il de la Géométrie [93] et du Monde : « je ne vous promets pas de mettre ici des démonstrations exactes de toutes les choses que je dirai ; ce sera assez que je vous ouvre le chemin, par lequel vous les pourrez trouver de vous-mêmes, quand vous prendrez la peine de les chercher » [94].
La forme aporétique et la critique de l’érudition participent d’un même culte du par soi-même. Autant pour lui-même qu’à l’adresse de ses lecteurs, Descartes cultive un connais par toi-même éminemment socratique : « Il n’y a rien à quoi l’on se puisse occuper avec plus de fruit, qu’à tâcher de se connaître soi-même » [95]. Ainsi, par La Recherche de la Vérité, se propose-t-il d’ouvrir « à un chacun les moyens de trouver en soi-même, et sans rien emprunter d’autrui toute la science qui lui est nécessaire à la conduite de sa vie » [96].
L’ignorance, on le sait, est l’un des aspects fondamentaux de l’ethos d’un Socrate qui ne cesse de déclarer : « moi qui ne sais rien ! ». L’ethos socratique, en un mot, se résume dans la naïveté [97]. Non qu’il ne sache effectivement rien, mais qu’il le feigne (« la voilà bien la feinte ignorance, habituelle aux questions de Socrate ! » [98]). Une note de Léon Robin précise combien cette feinte est significative de l’ironie socratique, puisqu’elle a le « sens propre et primitif du grec eïrôneïa » dont « est dérivée la signification qu’a prise le mot ironie » [99]. C’est dire qu’il y a dans la composition du personnage socratique un dualisme entre la surface et la profondeur ; le Banquet fait de Socrate une Silène [100]. Et la réaction est la dévotion totale, c’est-à-dire la conviction acquise d’avance. On pourrait donc légitimement supposer que cette conséquence n’était pas inconnue de Socrate, et que son comportement, sa manière d’être Silène, était une stratégie.
Descartes, par la distance qu’il semble prendre avec l’érudition, cultive cette même apparence d’ignorance. « Il évitait surtout de paraître docte ou philosophe dans les entretiens » rapporte Baillet [101]. Ainsi commence le Discours : « Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n’est peut-être qu’un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l’or et des diamants » [102]. Et aux docteurs de la Sorbonne il avoue : « ayant connaissance non seulement de mon infirmité, mais aussi de mon ignorance, je n’oserais pas assurer qu’il n’y ait aucunes erreurs » [103]. Son doute hyperbolique, pour le scolastique, n’est d’ailleurs rien de moins que le danger de l’ignorance socratique : « Ces doutes si généraux nous mèneraient tous droit dans l’ignorance de Socrate, ou dans l’incertitude des Pyrrhoniens » [104] s’inquiète Epistémon.
Avouer, en dernière analyse, s’avancer masqué, est prendre conscience d’une manière d’être Silène comme stratégie. Dans le cadre d’une philosophie sans rhétorique, Descartes déclare au sujet de ses écrits : « je les ai fait sortir en public sans être parés, ni avoir aucun des ornements qui peuvent attirer les yeux du peuple, afin que ceux qui ne s’arrêtent qu’à l’extérieur ne les vissent pas, et qu’ils fussent seulement regardés par quelques personnes de bon esprit, qui prissent la peine de les examiner avec soin, afin que je puisse tirer d’eux quelque instruction » [105]. C’est donc effectivement par stratégie qu’il a délibérément fait de son œuvre une Silène. Car c’est ainsi que l’on remporte le mieux l’adhésion.
A ce masque d’ignorance et de naïveté participe chez Descartes une certaine culture de la modestie. Ce que je propose est fort banal, et je ne mérite aucune gloire semble-t-il déclarer. La philosophie cartésienne, étant construite sur l’évidence et s’adressant à l’honnête homme, se voulant à la fois vraie et utile, n’a pas la prétention d’être nouvelle, tout en ayant pour fin de dépasser la scolastique (qui, elle, se voulait nouvelle). L’exemple le plus manifeste de ce comportement se trouve dans la réaction cartésienne à l’accusation de Bourdin selon laquelle son principe premier – le cogito, ergo sum – serait fort banal, notamment depuis saint Augustin. La réaction de Descartes montre que ne pas prétendre être l’auteur d’une pensée radicalement nouvelle n’implique pas l’absence totale de vanité : bien au contraire, puisque c’est là l’occasion de souligner combien il est étonnant que personne avant lui n’ait songé à faire quelque chose de ce principe, pourtant à portée de main de tous. Plus la trouvaille est banale et son utilisation, elle, véritablement novatrice, et plus le mérite de son auteur est grand. Ce double mouvement, qui consiste donc à dire, d’une part, je ne mérite aucune gloire et, d’autre part, mais ceci est ma gloire, est particulièrement visible dans un passage de La Recherche de la Vérité, dont le premier paragraphe annonce « je n’ai aucune gloire… », tandis que le second poursuit « … d’avoir été le seul à trouver ce que j’ai trouvé » [106]. Ainsi la modestie cartésienne est-elle vanité. Ainsi la banalité est-elle singularité.
L’ethos cartésien, en dernière analyse, est socratique pour se construire, comme lui, dans l’opposition, c’est-à-dire contre. Le lecteur de Descartes, comme celui de Socrate, déduit le caractère de l’auteur de ce qu’il nie être, à savoir un rhéteur et un érudit, faiseur et lecteur de livres. L’ethos par contraposition, commun à Descartes et Socrate, implique la persécution, qu’ils partagent aussi (à des degrés certes différents : la mort pour Socrate, de grandes querelles pour Descartes). Une proximité qui n’a pas échappé à J.-L. Marion, qui évoque, « dans la querelle d’Utrecht l’épisode, toujours possible et peut-être requis pour un authentique philosophe, d’une persécution qui l’institue dans une position socratique » [107].
Le pathos est la disposition de l’auditoire, c’est-à-dire la manière dont l’orateur, en l’occurrence Descartes, perçoit son lectorat, s’y adapte et s’adresse à ses émotions. On peut résumer cette dimension à trois axes : le soin prédiscursif de l’auditoire, c’est-à-dire tout ce qui concerne la représentation a priori du lectorat avant le dicours, la rhétorique émotionnelle qui vise à toucher les sentiments du lecteur, et le jeu de la polémique, avec l’art de la flatterie et de l’insulte.
Le soin de l’auditoire n’est pas seulement discursif : il commence bien plus tôt, et en premier lieu avec l’adaptation à l’auditoire. Se pose également la question du rapport de Descartes à l’honnête homme, c’est-à-dire du balancement entre ésotérisme et exotérisme. Nous verrons aussi comment la rhétorique cartésienne est une rhétorique de l’attention, exigeante envers son lecteur, et comment ce dernier est préparé à recevoir le texte avant même de le pénétrer.
Conformément aux exigences traditionnelles de la rhétorique, Descartes prend un soin tout particulier à s’adapter à son auditoire [108]. Il connaît les différences entre les hommes, pour avoir beaucoup voyagé : « il s’appliqua particulièrement à étudier les inclinations, les mœurs, les dispositions et les caractères d’esprit dans la foule et le mélange de tant de nations différentes » [109]. Et il témoigne dans son œuvre d’un souci particulier de s’y adapter : « Vous pouvez avoir deux desseins, qui sont fort bons et fort louables, mais qui ne requièrent pas tous deux même façon de procéder. L’un est d’écrire pour les doctes (…) et l’autre est d’écrire pour les curieux qui ne sont pas doctes » [110]. L’adaptation à l’auditoire passe chez Descartes par au moins cinq moyens.
Premièrement, le choix de la langue, latin ou français : « Et si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens. Et pour ceux qui joignent le bon sens avec l’étude, lesquels seuls je souhaite pour mes juges, ils ne seront point, je m’assure, si partiaux pour le latin, qu’ils refusent d’entendre mes raisons, parce que je les explique en langue vulgaire » [111]. Les oratoriens, qui soutiennent Descartes, favorisent la langue naturelle, tandis que les jésuites maintiennent le latin. On note que les cartésiens useront de la première d’entre elles : L’Art de Parler de B. Lamy, comme la Logique de Port-Royal et la Grammaire d’Arnauld et Nicole, sont en français [112].
Deuxièmement, le choix de la méthode, analyse (Méditations) ou synthèse (Principes) : le choix dépend de l’auditoire, selon que Descartes veuille apprendre au lecteur consentant ou convaincre le lecteur non consentant. Troisièmement, le choix des armes. On voit par exemple l’auteur, dans une querelle avec les jésuites (auxquels Descartes, soutenu par les oratoriens, s’oppose), élaborer une stratégie qui consiste à travailler sa scolastique pour leur répondre sur leur propre terrain [113]. Quatrièmement, le choix de la forme du texte : traité ou dialogue. La Recherche de la Vérité est en français et, de surcroît, est un dialogue, ce qui n’est pas peu dire. Dans son introduction, Descartes montre que le choix du dialogue est celui d’un public large : « Aussi me suis-je efforcé de les rendre également utiles à tous les hommes ; et pour cet effet, je n’ai point trouvé de style plus commode, que celui de ces conversations honnêtes, où chacun découvre familièrement à ses amis ce qu’il a de meilleur en sa pensée » [114].
Cinquièmement, le choix de l’ordre des preuves. Ainsi la seconde preuve a posteriori de l’existence de Dieu dans la Méditation III est-elle un arrêt dans l’ordre des raisons pour des raisons pédagogiques : démontrer l’existence de Dieu à partir du fait qu’il soit cause de mon être est plus aisé à accepter, pour les thomistes, qu’à partir du fait qu’il soit cause de mon idée de Dieu – car, à première vue, on accorde plus volontiers de la réalité à la cause d’un être qu’à celle d’une idée, laquelle peut être adventice ou factice. Autrement dit, la proposition : « encore que peut-être l’on puisse feindre qu’un tel être n’existe point, on ne peut pas feindre néanmoins que son idée ne me représente rien de réel » [115], si elle est éminemment cartésienne, est encore trop étrangère aux esprits de l’époque. La seconde preuve a posteriori, qui donc n’est qu’une explication de la première [116], témoigne de la part de son auteur d’un effort d’adaptation aux différentes sensibilités de son lectorat.
L’adaptation à l’auditoire consiste donc essentiellement à savoir aussi écrire pour l’honnête homme [117], fidèle au sens commun : la philosophie cartésienne, se basant sur ce constat que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » [118], s’adresse alors particulièrement à lui : « Il n’y a personne au monde qui recherche ni qui chérisse l’amitié des honnêtes gens plus que je fais… » [119]. Le cas du cogito, principe premier de l’édifice cartésien, en témoigne : Descartes fait le nécessaire pour que l’honnête homme puisse le comprendre sans savoir ce qu’est la pensée, l’existence et le doute [120].
La philosophie cartésienne est donc en un sens exotérique : Descartes semble retrouver l’acte philosophique de Socrate par-dessus Platon, en affirmant à plusieurs reprises combien il est simple d’entendre ses écrits, et combien ceux-ci sont accessibles à tous : « Je voudrais assurer ceux qui se défient trop de leur forces, qu’il n’y a aucune chose en mes écrits qu’ils ne puissent entièrement entendre, s’ils prennent la peine de les examiner » [121]. Reste que, à y regarder de plus près, l’ésotérisme n’est pas non plus absent de la conduite cartésienne. Cette facilité de la science, si elle est promise, n’est dans les faits accessible qu’à certains : « A celui qui voit complètement la chaîne des sciences, il ne semblera pas plus difficile de les retenir dans son esprit que de retenir la série des nombres » [122]. Lorsque Descartes déclare : « Assurez-vous qu’il n’y a rien, en ma Métaphysique, que je ne crois être vel lumine naturali notissimum, vel accurate demonstratum ; et que je me fais fort de le faire entendre à ceux qui voudront et pourront y méditer » [123], il pose deux conditions d’accès à sa pensée : non seulement le vouloir, mais aussi le pouvoir. Car « Néanmoins, quelque certitude et évidence que je trouve en mes raisons, je ne puis pas me persuader que tout le monde soit capable de les entendre » [124]. L’ésotérisme cartésien, qui décidément n’est pas sans rappeler celui de Platon, s’énonce alors simplement : « La science est comme une femme ; si, pudique, elle reste auprès de son mari, on l’honore ; si elle se donne à tous, elle s’avilit » [125].
Que Descartes destine son discours à un lecteur qui en veut (c’est le propre de tout discours analytique que son lecteur soit consentant), c’est-à-dire attentionné, fait de la rhétorique qu’il met en œuvre à cet effet une rhétorique de l’attention, c’est-à-dire contre la relâche [126]. Parce que « je ne puis pas ouvrir les yeux des lecteurs, ni les forcer d’avoir de l’attention aux choses qu’il faut considérer pour connaître clairement la vérité (…) je ne puis pas donner de l’esprit aux hommes, ni faire voir ce qui est au fond d’un cabinet, à des gens qui ne veulent pas entrer dedans pour le regarder » [127], l’auteur s’adresse à l’attentus lector, au « mentis purae et attentae » [128].
Descartes ne donne pas seulement le texte : il s’efforce aussi et surtout de rendre sa lecture facile, en expliquant comment le lire (car rendre la lecture facile, c’est rendre l’assentiment facile). Ainsi en est-il des Principes : « je voudrais qu’on le parcourût d’abord tout entier ainsi qu’un roman, (…) qu’après cela (…) on le peut lire une seconde fois pour remarquer la suite de mes raisons ; (…) puis, si on reprend le livre pour la troisième fois, j’ose croire qu’on y trouvera la solution de la plupart des difficultés qu’on aura marquées auparavant » [129]. Et des Méditations : « je voudrais que les lecteurs n’employassent pas seulement le peu de temps qu’il faut pour la lire, mais quelques mois, ou du moins quelques semaines, à considérer les choses dont elle traite, auparavant que de passer outre ; car ainsi je ne doute point qu’ils ne fissent bien mieux leur profit de la lecture du reste » [130].
Il prépare, en un mot, les esprits des lecteurs. A Hobbes qui objecte à Descartes que la notion de doute universel n’est guère nouvelle, Descartes répond : « je m’en suis servi, non pour les débiter comme nouvelles, mais en partie pour préparer les esprits des lecteurs à considérer les choses intellectuelles et les distinguer des corporelles » [131]. Il prévient, dans l’introduction à la Recherche de la Vérité, à propos de ses personnages : « je leur ferai souvent emprunter des exemples pour rendre leurs conceptions plus faciles » [132]. Bref, comme le dit P. France : « tout est fait pour que le lecteur se sente entre de bonnes mains » [133].
Notons enfin que le « persuader aux autres » [134] cartésien est une conséquence de l’auto-persuasion (a fortiori quand la méthode analytique identifie le lecteur à l’auteur) : « J’éprouverai en la Dioptrique si je suis capable d’expliquer mes conceptions, et de persuader aux autres une vérité, après que je me la suis persuadée » [135] ; « j’exposerai premièrement dans ces Méditations les mêmes pensées par lesquelles je me persuade être parvenu à une certaine et évidente connaissance de la vérité, afin de voir si, par les mêmes raisons qui m’ont persuadé, je pourrai aussi en persuader d’autres » [136]. Le travail sur soi consiste à se persuader [137], et c’est pourquoi B. Timmermans, d’une manière sans doute un peu radicale, n’hésite pas à parler des Méditations entières (considérées comme le travail méditatif que l’esprit se fait à lui-même) comme d’un « véritable exercice d’autopersuasion au terme duquel, à force d’attention et de remises en question, apparaît la ‘vérité’ » [138].
Descartes, qui sait qu’ « Il y a dans tous les esprits certaines parties qui, même touchées légèrement, excitent des sentiments forts » [139], utilise l’affectivité dans sa relation avec son lecteur [140]. On peut en relever au moins sept manifestations.
(1) Les pronoms personnels « je », « vous », « nous », « moi » dont sont truffés le Discours (l’exemple-type, sur le ton de la confession) mais aussi les Méditations : Descartes invite sans cesse le lecteur à s’inclure dans la réflexion, à la mener avec lui. Plus tard, notamment dans les Principes et dans les Passions de l’âme, l’élimination de la première personne sacrifiera cette proximité avec le lecteur pour finalement le servir tout autant, en consolidant son ethos de scientifique objectif, loin de toute préoccupation sophistique. L’omniprésence du « je » identifie le lecteur à l’auteur : « Mais il ne suffit pas d’avoir fait ces remarques, il faut encore que je prenne soin de m’en souvenir » [141] est une manière de dire à son lecteur « prenez garde ici à bien vous souvenir de ces remarques » - lesquelles consistent précisément à suspendre ses préjugés, ses opinions, son inclination naturelle.
(2) Les questions, qui sont autant de questions posées aux lecteurs. (3) Les préfaces et autres préliminaires, qui s’adressent à lui et placent ensemble l’auteur et le lecteur face au texte que l’un présente à l’autre. La préface est une occasion de préparer le lecteur à la lecture, c’est-à-dire de travailler à la bonne réception de l’écrit que l’on présente, tout en construisant une image favorable et attrayante de son auteur. Généralement, elle est un texte de Descartes lui-même (par exemple, la lettre aux doctes de la Sorbonne). Mais il peut aussi s’agir de lettres, comme dans le cas des Passions de l’âme : il fait donc intervenir autrui et se met en scène comme dans un dialogue. P. France note combien les lettres publiées en préface des Passions de l’âme le sont dans le but de préparer une réception favorable et de se construire une image avantageuse.
(4) La méthode analytique – notamment dans les Méditations – qui consiste non pas en ce que l’auteur fasse un exposé systématique de ce qu’il a déjà découvert, et ainsi prenne de la distance, mais en ce qu’il redécouvre, avec le lecteur, le chemin par lequel il est parvenu à la vérité. Parce que le lecteur et Descartes découvrent ensemble, le lecteur, d’une certaine manière, est Descartes : en suivant, jour après jour, méditation après méditation, les pas de l’auteur, il aura l’impression d’avoir lui-même inventé ce que Descartes invente - ce qui était le propre de la méthode analytique : « si le lecteur la veut suivre, et jeter les yeux soigneusement sur tout ce qu’elle contient, il n’entendra pas moins parfaitement la chose ainsi démontrée et ne la rendra pas moins sienne, que si lui-même l’avait inventée » [142]. Descartes y invite « ceux qui voudront avec moi méditer sérieusement » [143]. Ce « avec moi » instaure une relation privilégiée entre l’auteur et son lecteur.
(5) Le genre autobiographique duDiscours, bien entendu. (6) Les détails par lesquels Descartes se rend familier à son lecteur : « assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains » [144]. (7) Le suspense, les émotions et la curiosité qu’il sait susciter : « La Méditation que je fis hier m’a rempli l’esprit de tant de doutes, qu’il n’est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne vois pas de quelle façon je les pourrai résoudre » [145]. C’est un procédé rhétorique connu que de s’approprier les émotions de l’auditoire en lui faisant part des nôtres propres : dans ce partage est la communion de l’auteur et de son lecteur. Le doute hyperbolique lui-même, selon Leibniz, n’est utilisé que « pour piquer par la nouveauté la somnolence du lecteur » [146].
La philosophie cartésienne se construit sur un vaste champ de bataille rythmé par les duels fameux de l’auteur avec, entre autres, Voët, Regius, Fermat, Roberval, Hobbes, Gassendi et Bourdin, pour ne citer qu’eux. Les champs lexicaux de l’escrime, auquel Descartes consacra un traité en 1613, et des échecs, pourraient en constituer une lumineuse grille de lecture. Descartes lui-même fait l’analogie au sujet de sa dispute avec M. Fromondus : « Au reste, cette dispute s’est passée entre lui et moi comme un jeu d’échecs » [147]. Donnons ici quelques exemples du champ lexical des échecs qui pourraient fort bien convenir à la rédaction d’une Rhétorique cartésienne, ou l’art de faire mat. On peut distinguer trois phases dans une partie : l’ouverture, le milieu et la fin. A l’ouverture la priorité est aux pièces mineures (les pièces lourdes sont plus lentes à mobiliser). Un jeu ouvert se caractérise par, premièrement, un jeu combinatoire (c’est-à-dire à court terme, par opposition au jeu de position, à long terme), deuxièmement, des manœuvres tactiques, sans stratégie et, troisièmement, l’absence de tensions durables. L’attaque d’une chaîne se fait par la base, et suit la ligne de moindre résistance (c’est-à-dire selon les points faibles de l’adversaire). La défense doit toujours se faire selon le principe d’économie (c’est-à-dire en utilisant le moins de pièces possibles, afin de libérer les autres pour l’attaque et en prévision d’une défense plus rude à venir). Le clouage est la paralysie d’une pièce. Subir un échec à la découverte est donner la possibilité à l’adversaire de jouer deux coups successifs. Le roi est en échec quand il est attaqué, ce qui exige une parade immédiate. Un roi dépouillé est un roi privé de tous ses combattants (on parle d’une manière générale d’une pièce non protégée si aucune autre n’en sanctionne la prise). Il y a mat quand aucune parade ne peut répondre à la mise en échec du roi. Et, bien entendu, tout ce combat est codifié par l’honneur : la flatterie est de règle (elle ouvre et clôt chacune des lettres), et l’insulte discrète. Il faut souligner le rôle de Mersenne, la plupart du temps intermédiaire entre les deux parties (notamment quand Descartes est en Hollande), qui s’assurait, quitte parfois à modifier les thèses, de l’entretien de la dispute [148].
Quand on mesure l’ethos socratique de Descartes, il n’est pas inintéressant de rappeler que Socrate, dans le Gorgias, définit la rhétorique par la flatterie [149]. La flatterie est une affaire de politesse, de civilité, sans que la sincérité de son auteur doive être mise en cause. Descartes, par exemple, corrige Regius « en lui montrant l’importance qu’il y a de traiter un adversaire avec beaucoup de douceur et d’honnêteté » [150]. Mais elle peut produire un certain effet pervers qui autorisera le destinataire à se permettre certains débordements. C’est ainsi, pense Descartes, que Beeckman s’est approprié aux yeux de ses amis le Traité de Musique [151] qu’il lui avait imprudemment laissé. L’auteur, après lui avoir repris, s’interroge sur ce qui a pu faire que Beeckman ne s’y soit point senti gêné, et propose : « Mais sans doute la civilité du style français vous a-t-elle trompé » [152].
Quant à l’insulte, on peut en distinguer trois espèces. Premièrement, l’insulte par analogie. C’est la manière la plus usée par l’auteur : il insulte indirectement par des formules comme « je m’étonne toutefois qu’une personne comme lui ait semblé imiter en cela ces infâmes détracteurs » [153]. Descartes fait une analogie implicite entre son adversaire – qu’il assure estimer grandement (d’où sa surprise simulée de voir qu’il se comporte comme un abruti) – et le tableau plein d’insultes d’un imbécile qui n’aurait pas compris sa philosophie, pour s’étonner que le premier imite le second. L’imitation est ici importante : c’est dire que l’un n’est pas l’autre (et donc rester poli) mais qu’il n’en a pas moins toute l’allure (et donc être suffisamment agressif). L’analogie qu’il met en œuvre pour cela fait généralement appel à l’idiot, mais parfois aussi à l’animal : « Car il n’y a pas un [des amis de Descartes] qui ne sache que j’ai même coutume de tirer instruction des fourmis et des vermisseaux, et ils ne croieront jamais que j’aie pu rien apprendre de vous, si ce n’est de la même manière que j’ai coutume d’apprendre des moindres choses de la nature » [154].
Deuxièmement, l’apodioxie, ou l’insulte par le refus de répondre [155]. Descartes insulte ses adversaires en refusant de considérer leurs objections, décrétant a priori que celles-ci ne valent même pas la peine d’être considérées, et qu’elles ne peuvent provenir que d’un fou ou d’un idiot. Pareille pratique s’applique notamment à Hobbes. Elle se manifeste sous trois formes. D’abord, la thèse de l’adversaire est tellement banale qu’il serait trivial de s’y arrêter. Par exemple, Descartes se permet de ne pas répondre à Hobbes puisque « La distinction qui est entre l’essence et l’existence est connue de tout le monde » [156]. Ensuite, l’adversaire se répète : inutile, donc, de prendre ici le temps de considérer ce qui le fut déjà plus avant. C’est encore le cas de Hobbes, puisque la citation précédente poursuit : « et ce qui est dit ici des noms éternels, au lieu des concepts ou des idées d’une éternelle vérité, a déjà été ci-devant assez réfuté et rejeté » [157]. Mais, plus généralement, c’est plutôt Gassendi qui pâtit de cette manière-ci : « Je ne m’arrête pas ici sur des choses que vous avez tant de fois rebattues, et que vous répétez encore en cet endroit si vainement » [158]. Enfin, l’adversaire avance des thèses qui sont simplement indignes d’être réfutées. Ainsi Descartes se permet-il de ne pas répondre à Gassendi : « Tout ce que vous alléguez ici, ô très bonne chair, ne me semble pas tant des objections que quelques murmures qui n’ont pas besoin de repartie » [159].
Troisièmement, l’insulte par la moquerie. La plus explicite des insultes vise ses adversaires les plus épais, tel Voët, qu’il fait passer pour fou, ou Bourdin, pour un acteur combattant « un ennemi tout à fait digne de sa scène, savoir, contre mon ombre, qui n’est à la vérité visible qu’à lui, et qu’il a lui-même forgée (…) encore qu’à présent il ne combatte le plus souvent que contre un rien et un fantôme, il a toutefois bien de la peine à s’en défendre » [160]. L’analogie n’est pas sans rappeler l’allégorie de la caverne de Platon, où les esclaves croient que les ombres sur la paroi sont des êtres réels. Bourdin reste prisonnier de son illusion.
Que l’affirmation d’une philosophie « sans rhétorique » constitue l’un des piliers de l’ethos qui, lui-même et au sens aristotélicien du terme, est constitutif de la rhétorique, montre combien le soin que Descartes prend pour expulser la rhétorique de sa philosophie est lui-même rhétorique, qu’il pourrait être, en quelque sorte, une stratégie. Si, « Et pour moi, la maxime que j’ai le plus observée en toute la conduite de ma vie, a été (…) de croire que la principale finesse est de ne vouloir point du tout user de finesse » [161], il se pourrait bien que la principale rhétorique soit de ne vouloir point du tout user de rhétorique. L’argumentation, après la démonstration, commence donc ici : dans ce que l’auteur laisse paraître de son ethos avant même qu’il ne soit lu une seule ligne de son livre, dans sa seule présentation, dans son ornement. Et cette absence d’ornement du texte l’orne malgré tout via son auteur : en ornant son auteur pour n’avoir pas orné son texte, le texte de cet auteur se voit orné d’une valeur a priori.
Si donc Descartes semble entretenir à l’égard de la rhétorique une attitude ambivalente, ce n’est pas, comme l’écrit B. Timmermans, parce que « tantôt il condamne les ‘artifices de l’orateur’, tantôt il avoue sans ambages y recourir lui-même » [162], car Descartes n’avoue pas sans ambages y recourir lui-même. Quand il écrit « Si j’ai parlé de revêtement, ce n’est pas que je veuille envelopper cette doctrine ni la voiler pour en écarter la foule, c’est plutôt que j’entends l’habiller et la parer, de manière à la pouvoir mieux accommoder à l’esprit humain » [163], d’une part, la doctrine en question est la mathesis universalis (en tant que telle, son abstraction ne la rend pas préhensible à l’esprit humain, la parer est condition de son apparaître) et, d’autre part, le revêtement en question n’est pas du tout la rhétorique, mais seulement les figures et les nombres [164]. Si l’attitude cartésienne à l’égard de la rhétorique est effectivement ambivalente, c’est parce qu’il la condamne par ses propres armes, parce qu’il s’en sert, et d’abord par la construction d’un ethos, pour prétendre la rejeter.
Si Descartes peut se le permettre tout en restant cohérent, c’est, premièrement, qu’il ne critique pas la rhétorique en elle-même mais seulement la mauvaise utilisation que certains en font (ce qu’il a déjà dit de la lecture). Pourquoi, dès lors, ne pas l’utiliser pour mieux servir la vérité ? C’est exactement ce qu’écrit saint Augustin, dans un passage qui sera repris par Arnauld : « Puisque par l’art de la rhétorique, on peut persuader le vrai comme le faux, qui oserait donc dire que la vérité doit faire face au mensonge avec des défenseurs désarmés ? Puisque donc l’art de l’éloquence peut être utilisé dans les deux cas, qu’il possède la très grande puissance de persuader soit le mal soit le bien, pourquoi les hommes de bien ne l’étudieraient-ils pas pour l’acquérir, pour le consacrer à la défense de la vérité, quand les méchants le mettent au service de l’injustice et de l’erreur, en vue de faire triompher des causes perverses et mensongères ? » [165]
Et, deuxièmement, tout comme il ne critique pas la logique mais distingue une mauvaise logique d’une bonne, il ne critique pas la rhétorique mais distingue, comme Platon dans le Phèdre [166], une mauvaise rhétorique d’une bonne. La fausse rhétorique est celle qui a de mauvaises motivations, telles que l’orgueil, la vanité, et n’a que faire de la vérité ; la vraie rhétorique est celle qui a de bonnes motivations, telles que la générosité [167] et la recherche de la vérité. Il y a, en somme, une éthique de la rhétorique cartésienne.
Quelle est cette bonne rhétorique, et en quoi est-elle présente dans le texte cartésien ? Elle l’est par le souci de l’ordre : lorsque Descartes écrit, au sujet de l’éloquence, « Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées, afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils proposent, encore qu’ils ne parlassent que bas breton, et qu’ils n’eussent jamais appris de rhétorique » [168], digérer signifie ici « mettre en ordre », ainsi que le confirme la traduction latine (ordine disponunt). La bonne persuasion a donc pour condition, et la force du raisonnement, et l’ordre des pensées (en vue de leur intelligibilité), c’est-à-dire « l’ordre des raisons » [169].
La méthode cartésienne entend ainsi s’appuyer sur quatre préceptes – évidence, décomposition, recomposition, dénombrement – qui ne laissent pas de rappeler les quatre parties traditionnelles de l’authentique rhétorique. M. Meyer établit une correspondance convaincante : « En effet, l’inventio permet de découvrir les éléments qui, dans la question à traiter, sont hors question ; la dispositio, à les organiser ; l’elocutio à les présenter dans l’ordre qui convient, et la memoria, à s’assurer que rien n’a été omis dans cette présentation ordonnée » [170]. B. Timmermans soutient M. Meyer en argumentant de la manière suivante : « Platon déjà définissait la ‘bonne’ rhétorique comme utilisant les procédés de division et de rassemblement ; Descartes semble ici compléter la méthode platonicienne en encadrant les règles de division et de recomposition à l’aide de deux autres règles qui font penser à l’inventio (intuition) et à la memoria (dénombrement), comme déjà Raymond Lulle, au XIIIème siècle, liait étroitement l’ars inveniendi à l’ars memorativa » [171]. Mais, d’abord, que Platon ait fait de la sorte n’engage que lui, et non Descartes. Ensuite, que deux règles cartésiennes « fassent penser » aux deux genres restants de la rhétorique est insuffisant pour asseoir une interprétation légitime et, quand bien même serait-ce le cas, on ne pourrait pour autant inférer que les deux autres correspondent aussi, simplement parce que c’est le cas chez un autre auteur (Platon). Enfin, pareille interprétation fait de Descartes un suiveur de Lulle, alors même qu’il s’en défend lui-même. Bref, cette interprétation est discutable. Ce qui est certain est que la méthode cartésienne présente certaines similitudes frappantes avec la rhétorique, une bonne rhétorique, qui sert la philosophie plutôt qu’elle ne la gêne.
La relation dialectique qui lie Descartes à la rhétorique se prolonge, d’une manière générale, dans son rapport à l’autorité – en l’occurrence la scolastique. La première lecture de celui qui incarne l’avènement de la philosophie moderne confirme cette rupture déclarée avec l’École. Une seconde observe malgré tout qu’il la flatte partout, renonçe même à certaines de ses thèses pour la mieux respecter, et en appelle souvent à son autorité [172]. Mais une troisième lecture, qui sursume la précédente par aufhebung, montre comment la flatterie et le respect à l’égard de la scolastique ne sont affichés que pour la mieux tromper, ce qui rétablit – cette fois légitimement – la rupture initiale. Ainsi la métaphysique des Méditations, approuvées par les docteurs de la Sorbonne, implique-t-elle la physique anti-aristotélicienne que prépare l’auteur, qui fait à Mersenne cette confidence : « ces six Méditations contiennent tous les fondements de ma Physique. Mais il ne faut pas le dire, s’il vous plaît ; car ceux qui favorisent Aristote feraient peut-être plus de difficulté de les approuver ; et j’espère que ceux qui les liront, s’accoutumeront insensiblement à mes principes, et en reconnaîtront la vérité autant que de s’apercevoir qu’ils détruisent ceux d’Aristote » [173]. Voilà donc Descartes qui utilise sa métaphysique et, plus largement, la scolastique, comme « couverture pédagogique » [174], pour détruire ensuite cette dernière de l’intérieur. La stratégie est alors bien plus efficace que ne l’aurait été un affrontement frontal.
Bien que sa métaphysique ne soit pas scolastique, elle n’a de cesse de glisser des arguments novateurs (comme la première preuve de l’existence de Dieu, Dieu cause de mon idée de Dieu, en Méditation III) dans un tissu relativement classique (comme la seconde preuve de l’existence de Dieu, Dieu cause de mon être, en Méditation III), de telle sorte que l’ensemble paraisse acceptable par l’autorité, tout en lui faisant insensiblement reconnaître, par inclusion, la pensée strictement cartésienne. Ainsi Descartes conseille-t-il à Regius de ne pas publier ses Fundamenta Physices dans lesquels (et parce qu’) il s’oppose trop explicitement à l’École. Il lui recommande d’être plus modéré et de concilier son esprit critique avec l’autorité de l’École : « Ne proposez pas de nouvelles opinions comme telles, mais utilisez toujours l’ancienne terminologie pour donner de nouvelles raisons. Ainsi personne ne pourra vous reprocher quoi que ce soit » [175]. Pour paraphraser Descartes, H. Caton parle de mettre du vin nouveau dans de vieilles bouteilles terminologiques [176].
Mais de telles manières posent à l’interprète une question essentielle : celle de la sincérité de Descartes. Nombreux sont ceux, contemporains de l’auteur ou commentateurs ultérieurs, qui doutèrent de sa sincérité, comme l’écrit Regius à l’intéressé : « beaucoup de gens d’esprit et d’honneur m’ont souvent témoigné qu’ils avaient trop bonne opinion de l’excellence de votre esprit, pour croire que vous n’eussiez pas, dans le fonds de l’âme, des sentiments contraires à ceux qui paraissent en public sous votre nom » [177]. Reste que discuter la sincérité d’un auteur n’est d’emblée pas simple dans la mesure où il s’agit de mettre à jour ses intentions à partir de ses seuls écrits. Celui qui s’y risque devra pour convaincre montrer qu’il se base sur des « preuves » légitimes pour affirmer qu’il n’y a pas, ici ou là, sincérité. La méthode repose alors sur une conception cohérentiste de la vérité : on examine la cohérence des textes entre eux. On doutera de la sincérité d’un texte s’il est contredit par un autre – rigoureusement par plus d’un autre, car sinon on pourrait autant douter de la sincérité de cet autre-là.
H. Caton, à l’issue de son analyse de l’herméneutique cartésienne de la dissimulation, résume sa thèse en quelques maximes qui devraient constituer pour tout interprète de Descartes une grille de lecture impérative : méfions-nous lorsque le domaine de l’écrit laisse penser que Descartes a l’intention de ne rien écrire de préjudiciable à la religion et à l’État. L’usage d’une terminologie philosophique traditionnelle est suspecte de n’être qu’un enrobage destiné à faire passer des conceptions nouvelles. Et si une contradiction apparaît, il est possible de trancher en faveur de l’une des deux parties en respectant les règles suivantes : s’il s’agit d’une contradiction entre des opinions philosophiques traditionnelles et d’autres qui ne le sont pas, on doit favoriser les opinions non traditionnelles. S’il s’agit d’une contradiction entre des prémisses tirées de la foi et d’autres de la raison, on doit favoriser celles tirées de la raison. Et s’il s’agit d’une contradiction entre des conséquences implicites et des déclarations explicites exprimant une opinion pieuse ou traditionnelle, on doit favoriser les conséquences implicites [178]. Ces conseils ne permettront pas de résoudre le mystère profond de la sincérité de l’auteur, mais ils aideront peut-être le lecteur à soulever un coin du masque.
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[1] H. Gouhier, 1962, p. 90.
[2] Voir E. Grassi, 1980, p. 37.
[3] L’expression est de M. Mooney, 1985, p. 6.
[4] C’est par exemple l’objectif des auteurs du volume éd. par F. Cossutta, 1996. Mais c’est à la philosophie anglo-saxonne que l’on doit d’avoir initié le désenchantement de l’écriture cartésienne. L’école française nia longtemps qu’il y ait dans Descartes autre chose que de la candeur innocente, comme le remarque H. Caton, 1971, qui reproche à cette école française de n’avoir pas considéré des passages dans lesquels émerge la préoccupation manipulatrice de Descartes, tandis qu’il fait, lui, la démonstration d’une herméneutique de la dissimulation.
[5] Voir J.-B. Jeangène Vilmer, 2004.
[6] G. W. F. Hegel, 1940, p. 78.
[7] Aristote, Rhétorique, I, 2, §III, 1356a , in 1991, p. 83.
[8] P. Guenancia, 2000, p. 32, souligné par nous (spn). L’auteur écrit aussi, à propos des Regulae : « la critique que Descartes y fait de la logique et de la syllogistique » (p. 33, spn). La conjonction aligne le genre « logique » et l’espèce « syllogistique », et inclut fallacieusement le premier dans une critique qui n’est adressée qu’à la seconde, la logique syllogistique.
[9] A Mersenne, du 31 décembre 1640, AT III 272.
[10] AT X 405-406. Voir J.-L. Marion, 1975, sur les Regulae, ainsi que A. Robinet, 1996a et 1996b, pour une étude de la dialectique dans les Regulae.
[11] AT X 405-406.
[12] AT X 406.
[13] AT X 430.
[14] A Plempius pour Fromondus, du 3 octobre 1637.
[15] AT X 363-364. On peut, comme nous y invite Alquié, comparer ce texte avec celui du Discours dans lequel Descartes évoque sa jeunesse scolastique (Discours, I).
[16] AT X 405-406.
[17] Voir B. Timmermans, 1999, pp. 136-138.
[18] Voir AT VII 155-156.
[19] AT VI 325-328.
[20] A Mersenne, du 31 décembre 1640, AT III 276.
[21] A Mersenne, du 20 novembre 1629, AT I 82.
[22] A Mesland, du 2 mai 1644, AT IV 111.
[23] Voir H. Gouhier, 1962, pp. 91-92, 95 et M. Gueroult, 1953, t. I, p. 120.
[24] Voir AT IX-1 238-239.
[25] Les Préambules, in Descartes, Œuvres Philosophiques, éd. par F. Alquié, Paris, Bordas, 1988 (ci-après : Al. (tome) (page)), ici Al. I 45.
[26] A. Baillet, 1946, p. 29. Baillet décrit cette période ainsi : « En se déterminant à porter les armes, il prit la résolution de ne se rencontrer nulle part comme acteur, mais de se trouver partout comme spectateur des rôles qui se jouent dans toutes sortes d’états sur le théâtre du monde » (p. 23).
[27] Al. I 46, n. 1.
[28] Les Préambules, Al. I 46.
[29] Ibid.
[30] Voir J.-P. Cavaille, 1991.
[31] Voir Septimae Responsiones, Al. II 1044-1045.
[32] Le mot est de D. Maingueneau, 1996, qui l’applique au cas du Discours de la Méthode.
[33] Al. II 1102.
[34] Voir P. France, 1972, p. 61.
[35] V. Goldschmidt, 1988, p. 3.
[36] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 523.
[37] Dont J.-L. Marion, 1994, a montré le statut « responsorial ».
[38] Voir A. Bouvier, 1996.
[39] C’est d’ailleurs pourquoi A. Bouvier, 1996, p. 75, n. 6, invite à les comparer en utilisant l’article sur Platon de C. Kahn, 1991.
[40] Platon, Lettre VII, 342e, in 1950, t. II, p. 1210.
[41] Voir N. Chomsky, 1965, H. Aarsleff, 1970 et 1971, K. Percival, 1972 et A. Robinet, 1978, p. 79.
[42] A Mersenne du 21 juin 1641, AT III 284.
[43] Voir H. Gouhier, 1978, p. 20 et S. P. Menn, 1998.
[44] A Mersenne du 21 juin 1641, AT III 284.
[45] Embrasser et atteindre sont les métaphores des verbes comprehendere et intelligere, dont la distinction est essentielle touchant l’idée de l’infini : l’infini n’est certes pas compris, mais il est entendu. C’est précisément ce qui est sous-jacent ici.
[46] Cette distinction classique se manifeste sous d’autres formes dans les différentes expressions de l’Absolu : on dira par exemple ne pas pouvoir penser la mort, mais seulement à la mort.
[47] Voir M.-P. Edmond, 1991, p. 115.
[48] Ce qui lie par conséquent rhétorique et poésie, et permet à P. France, 1972, p. 40, de proposer d’aborder la rhétorique cartésienne en commençant par traiter de poésie. La relation de Descartes à la poésie constitue le fil directeur de J. Lafond, 1992. Voir aussi la longue liste de références AT que donne P. Dumont, 1997, pp. 242-243.
[49] Discours de la méthode, I, AT VI 7.
[50] Selon l’expression de son Studium bonae mentis (voir H. Gouhier,1962, p. 96), reprise par A. Baillet, cité en AT X 202. On notera que la Rhétorique, bien qu’étant un simple exercice, exige malgré tout la connaissance de la Vérité.
[51] Quintae Responsiones, Al. II 790.
[52] Ibid., Al. II 787.
[53] Discours de la méthode, AT VI 17.
[54] A Beeckman, du 26 mars 1619, Al. I 37. Voir aussi AT XI 326.
[55] A Beeckman, du 29 avril 1619, AT X 164-165. J. Chevalier, 1921, p. 34, n. 1, en s’appuyant sur cette lettre, déclare : « Il semble que l’idée de rechercher une méthode unique applicable à tous les objets ait été suggérée à Descartes par la lecture de Raymond Lulle » et il renvoie à G. Cohen, 1920, p. 387. Ce serait pour le moins étonnant, vu que Descartes semble s’opposer systématiquement à Raymond de Lulle, et rien dans le passage précité ne permet d’établir un tel héritage, au contraire.
[56] Elisabeth à Descartes, du 5 décembre 1647, AT V 97.
[57] A Elisabeth, du 3 janvier 1648, AT V 111-113.
[58] Y. Belaval, 1960, p. 99.
[59] AT X 531-532.
[60] H. Gouhier, 1924, p. 153 et Appendice II. Voir surtout H. Gouhier, 1929, en réponse à G. Cantecor, 1928.
[61] E. Cassirer, 1939.
[62] A Voët, AT VIII-2 44, in T. Verbeek, édition et commentaire de Descartes, La Querelle d’Utrecht, Paris, Les impressions nouvelles, 1988, p. 352.
[63] Discours de la méthode, I, AT VI 5-6.
[64] A. Baillet, 1946, p. 10.
[65] Discours de la méthode, II, AT VI 9-10. Voir Baillet, 1946, p. 18.
[66] A Huygens, de décembre 1638, Al. II 112.
[67] Les Préambules, Al. I 45-46.
[68] Entretien avec Burman, AT V 177, éd. par J.-M. Beyssade, Paris, PUF, 1981, p. 140.
[69] Baillet, 1946, p. 227.
[70] Platon, Lettre VII, 341c, in 1950, t. II, p. 1208 pour les deux citations.
[71] Platon, Lettre VII, 344d, in 1950, t. II, p. 1213.
[72] A Chanut, du 21 février 1648, AT V 130.
[73] Platon, Phèdre, 276a, in 1950, t. II, p. 77.
[74] A Mersenne, du 27 avril 1637, Al. I 533. On retrouvera l’expression de faiseur de livres dans un beau passage d’une lettre à Chanut, du 1er novembre 1646, AT IV 535.
[75] A Mersenne, du 15 avril 1630, Al. I 255.
[76] A Mersenne, de fin novembre 1633, Al. I 488. Voir aussi A Beeckman, du 24 janvier 1619, Al. I 35 et le Discours de la méthode, VI.
[77] A. Baillet, 1946, p. 283.
[78] Sur la rhétorique restreinte cartésienne, dominée par l’usage de la métaphore et de la comparaison (sur la première, et ses utilisations illustrative et émotive, voir notamment T. Spoerri, 1957), voir l’autre Descartes de P.-A. Cahné, 1980, qui est celui de la littérature, et J. Lafond, 1992. J. Lafond, 1990 et F. de Buzon, 1992, montrent ce que le Descartes du Discours doit sur ce point à Montaigne, à savoir le « projet autobiographique des premières parties du Discours », « certains principes rhétoriques et stylistiques » et les mots « essai » et « essayer » (quant à ce qu’il lui doit en philosophie, voir L. Brunschvicg, 1944). On pourrait, par ailleurs, mettre en évidence un lien entre la fascination de Descartes pour l’art de l’illusion – et en particulier les automates – avec E. Krantz, 1882 et P. Dumont, 1997, et l’illusion qu’il met en œuvre par la rhétorique de son écriture.
[79] A Regius, de juin 1642, AT III 565.
[80] P. France, 1972, p. 42.
[81] J.-L. Guez de Balzac, Le Prince, in 1854, t. I, p. 190. T. M. Carr, pour introduire à la rhétorique cartésienne, analyse les rapports qui liaient Descartes, le philosophe, et Jean-Louis Guez de Balzac, le rhéteur. Il est remarquable que l’un des plus importants textes de Descartes sur la rhétorique soit une apologie de Guez de Balzac : La lettre à *** de 1628 (AT I 5-13) fait l’éloge en latin des Lettres du Sieur de Balzac publiées en 1624 (sur cette lettre, qui fait référence aux sophistes grecs et affirme la thèse selon laquelle la persuasion requiert la sincérité, voir T. M. Carr, 1990, pp. 12-14 et E. Krantz, 1882, pp. 77-90). Le respect était mutuel : Guez de Balzac dédie trois œuvres à Descartes. On notera d’ailleurs que les œuvres en question sont des écrits de dispute (AT I 12). Voir la correspondance Descartes / Balzac (AT I 569-572, AT I 196-199, AT I 199-202, AT I 202-204, AT I 380-382) et ce que Descartes ailleurs dit de Balzac (AT I 5-13, AT I 132, AT I 322, AT II 283, AT II 349 et AT III 257).
[82] A Mersenne, du 25 décembre 1630, AT I 182.
[83] Au père Fournet (selon Alquié, au père Noël selon AT), du 3 octobre 1637, Al. I 798.
[84] Platon, Gorgias, 458a, in 1950, p. 390.
[85] Epistola ad. P. Dinet, Al. II 1074-1075. Voir aussi AT I 166. Reste que Descartes nie la plupart du temps qu’il y ait correction. Voir par exemple la fin des Cinquièmes Réponses, contre Gassendi : « j’ai été ravi qu’un homme de son mérite, dans un discours si long et si soigneusement recherché, n’ait apporté aucune raison qui détruisît et renversât les miennes, et n’ait aussi rien opposé contre mes conclusions à quoi il ne m’ait été très facile de répondre » (Quintae Responsiones, Al. II 838).
[86] Platon, Protagoras, 337b, in 1997, p. 83. Voir Baillet, 1946, p. 105. F. Alquié, 1950, pp. 64-65, confirme que le goût pour le débat, et en particulier la réfutation, occupait la jeunesse d’un Descartes formé à la disputatio scolastique.
[87] A Arnauld, du 4 juin 1648, AT V 192.
[88] A Mersenne, de fin novembre 1633, Al. I 488.
[89] A Regius, de janvier 1642, AT III 497.
[90] P. France, 1972, p. 45.
[91] Pensée 93.
[92] A Mersenne, du 21 janvier 1641, AT III 283.
[93] A Mersenne, du 4 avril 1648, AT V 142-143.
[94] Le monde ou Traité de la lumière, AT XI 48.
[95] La Description du corps humain et de toutes ses fonctions, AT XI 223-224.
[96] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 496.
[97] Platon, Banquet, respectivement 219a et 218d, in 1950 t. I, p. 758.
[98] Platon, République I, 337a, in 1950 t. I, p. 871.
[99] L. Robin, in Platon, La République, I, 337a, in 1950, t. I, p. 1385. Voir aussi, lorsque Calliclès s’exclame « Tu t’amuses à faire l’ignorant, Socrate ! » (Gorgias, 489e, in 1950, t. I, p. 435), la note de Robin qui précise « Le grec dit cela d’un mot : ‘tu ironises’ (…) mais la signification primitive s’est perdue dans le décalque français, et il faut paraphraser » (ibid., p. 1302).
[100] Platon, Banquet, 216e, in 1950, t. I, p. 755.
[101] A. Baillet, 1946, p. 283.
[102] Discours de la méthode, I, AT VI 3.
[103] Meditationes de prima philosophia, AT III 8.
[104] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 512.
[105] A Chanut, du 1er novembre 1646, AT IV 534.
[106] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 496-497.
[107] J.-L. Marion, 1988, p. 8.
[108] Contrairement à ce qu’avance E. Bréhier dans sa préface à C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca, 1952, p. VII, qui se plaint que le discours cartésien soit impersonnel et adressé à un auditeur quelconque. J. Lafond, 1992, p. 422, rejette justement pareille interprétation : « Le discours cartésien n’est impersonnel ni dans sa teneur ni dans son énonciation et la cause est à présent entendue : cette philosophie antirhétorique a en fait sa rhétorique propre ».
[109] A. Baillet, 1946, pp. 57-58.
[110] A Desargues, du 19 juin 1639, Al. II 133.
[111] Discours de la méthode, VI, AT VI 77-78.
[112] Voir J. T. Harwood, 1986, pp. 133-139.
[113] A. Baillet, 1946, p. 160.
[114] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 498.
[115] Meditationes de prima philosophia, III, AT IX-1 36.
[116] Il est effectivement possible de les unir, tout en respectant la spécificité de la première : d’une part, parce que le cogito est l’idée de Dieu, l’idée de Dieu m’est à ce point inhérente qu’elle me définit, ce qui implique l’indiscernabilité de mon idée de Dieu et de mon être, de telle sorte que les deux preuves – l’une par l’idée, l’autre par l’être – ne sont finalement que deux formulations différentes de la même démonstration. Cela est confirmé par le fait que mon « être », dont on cherche la cause dans la seconde preuve, soit au cours de celle-ci contraint de se définir comme mon état de chose pensante (lors de l’élimination de mes parents), ce qui la réduit d’une certaine manière au cogito dont il est question dans le première. D’autre part, il faut néanmoins reconnaître que la première formulation a incontestablement plus de force, en ce qu’elle exploite la médiation du cogito entre moi et Dieu (Dieu n’est posé que relativement au cogito qui possède l’idée de Dieu), alors que le solipsisme hérité de la Méditation II ne nous autorise qu’à cette seule réalité, et ainsi s’établit de plein droit dans la chaîne logique et nécessaire de l’ordre des raisons. On ne peut donc séparer ces deux preuves qu’en leur distribuant les éléments acquis communément au début de la Méditation III : j’existe, et mes idées existent.
[117] Sur cette relation, on consultera avec intérêt G. Rodis-Lewis, 1950.
[118] Discours de la méthode, I, AT VI 1.
[119] A Mersenne, du 3 mai 1638, AT II 131.
[120] Voir Principia Philosophiae, I, 10, AT IX-2 29 et A Clerselier, du 12 janvier 1646, sur les Cinquièmes Objections, AT IX-1 206.
[121] Lettre-préface à l’édition française des Principes, AT IX-2 13.
[122] Les Préambules, Al. I 46.
[123] A Mersenne, du 21 janvier 1641, AT III 284.
[124] Meditationes de prima philosophia, AT IX-1 6. Voir précisément la note de F. Alquié qui remarque le paradoxe cartésien d’affirmer simultanément la grande simplicité de sa philosophie destinée à tous, et l’irréductible « certains » qui ne la comprendraient pas.
[125] Les Préambules, Al. I 45.
[126] La notion de « Rhetoric of attention » domine le chapitre 3 de T. A. Carr, 1990. Voir aussi G. Rodis-Lewis, 1950, p. 182. Sur la relâche, voir par exemple les lettres à Élisabeth, de mai ou juin 1645, AT IV 220 et du 6 octobre 1645, AT IV 307.
[127] A Mersenne, du 21 janvier 1641, AT III 283-285.
[128] Regulae ad directionem ingenii, III, AT X 368.
[129] Lettre-préface à l’édition française des Principes, AT IX-2 1-12.
[130] Secundae Responsiones, AT IX-1 103.
[131] Tertiae Responsiones, AT IX-1 133.
[132] La Recherche de la Vérité par la lumière naturelle, AT X 499.
[133] P. France, 1972, p. 59, ma traduction.
[134] On trouve cette expression dans une lettre à Mersenne, du 15 avril 1630, AT I 144.
[135] A Mersenne, du 25 décembre 1630, AT I 182.
[136] Meditationes de prima philosophia, Al. II 393.
[137] Voir par exemple, AT XI 363.
[138] B. Timmermans, 1999, p. 363, n. 164.
[139] Observations, Al. I 50.
[140] Voir notamment J. Lafond,1990, p. 70 et G. Rodis-Lewis, 1950, pp. 149-156.
[141] Meditationes de prima philosophia, I, AT IX-1 17.
[142] Secundae Responsiones, AT IX-1 121.
[143] Meditationes de prima philosophia, Al. II 393.
[144] Ibid., I, Al. II 405.
[145] Ibid., II, AT IX-1 18.
[146] Leibniz, Animadversiones, I, 1. Voir aussi A Foucher, de janvier 1692.
[147] A ***, de mars 1638, AT II 49.
[148] Voir A. Baillet, 1946, p. 114.
[149] Voir Gorgias, 463a, in Platon, 1950, t. I, p. 397.
[150] A. Baillet, 1946, p. 152.
[151] Musique qui n’est pas sans rapport avec la rhétorique, aux yeux de l’auteur (voir la lettre à Mersenne de décembre 1640, AT III 255). C’est que l’une et l’autre ont la même fin : « L’objet de la musique est le son. Sa fin est de plaire, et d’exciter en nous diverses passions » (Abrégé de la musique, Al. I 30).
[152] A Beeckman, de septembre ou octobre 1630, AT I 156.
[153] Septimae Responsiones, Al. II 959-960.
[154] A Beeckman, de septembre ou octobre 1630, AT I 156.
[155] O. Reboul, 1991, p. 141, définit ainsi l’apodioxie : « refus argumenté d’argumenter soit au nom de la supériorité de l’orateur : Je n’ai aucune leçon à recevoir…, soit au nom de l’infériorité de l’auditoire : ce n’est pas à vous de me donner des leçons… ». Descartes, qui se soucie trop de son ethos – et est peut-être véritablement trop humble – pour pratiquer la première forme, abuse beaucoup de la seconde, en déclarant souvent qu’un argument de l’adversaire ne mérite même pas une objection en raison de sa faiblesse.
[156] Tertiae Responsiones, AT III 151.
[157] Ibid.
[158] Quintae Responsiones, Al. II 833.
[159] Ibid., Al. II 799.
[160] Septimae Responsiones, Al. II 1017-1018.
[161] A Elisabeth, de janvier 1645, AT IV 357.
[162] B. Timmermans, 1999, p. 180.
[163] Regulae ad directionem ingenii, IV, AT X 374.
[164] Ibid.
[165] Saint Augustin, De doctrina christiana, IV, 2, in 1936, t. XI, pp. 424-427. Repris par A. Arnauld, 1992, pp. 206-207. Voir D. Moreau, 1999, pp. 53-54.
[166] Voir le commentaire de V. Goldschmidt, 1988, p. 324-332. Pour une histoire de la distinction platonicienne entre « bonne » et « mauvaise » rhétorique, voir B. Cassin, 1990.
[167] Voir Les Passions de l’âme, 152-155.
[168] Discours de la méthode, I, AT VI 7, spn.
[169] A Mersenne du 24 décembre 1640, AT III 266–267.
[170] M. Meyer, 1998, p. 3. Voir aussi 1997, pp. 97-98.
[171] B. Timmermans, 1999, p. 181.
[172] Ainsi en est-il, par exemple, de la dédicace de ses Méditations aux docteurs de la Sorbonne. Voir A. Baillet, 1946, p. 172.
[173] A Mersenne, du 28 janvier 1641, AT III 297-298.
[174] Le mot est de H. Caton, 1971, p. 29.
[175] Lettre à Regius de janvier 1642, AT III 491-492.
[176] H. Caton, ibid.
[177] Regius à Descartes, du 23 juillet 1645, AT IV 255. Caton évoque More, Gassendi et Daniel, Leibniz (qui accuse Descartes de jouer adroitement avec les mots), Locke, d’Holbach, d’Alembert, Hobbes et La Mettrie. Parmi les commentateurs récents, il cite C. Adam (la métaphysique cartésienne n’est qu’un drapeau destiné à couvrir sa physique – AT XII 57 et 306), Gilson, 1913, pp. 3 et 441-442 ; 1925, pp. 289-290 et 1930, p. 187, ainsi que Laberthonnière, Küger et Jaspers.
[178] H. Caton, 1971, p. 33.