L’influence chinoise au Canada

La Presse, 12 décembre 2021


Un volumineux rapport sur les opérations d’influence chinoises récemment publié par deux chercheurs de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), en France, consacre un chapitre au cas canadien. Cet article en présente les principales conclusions.

Pourquoi le Canada intéresse-t-il la Chine ? D’abord et avant tout pour sa diaspora chinoise, qui héberge un grand nombre de dissidents réels ou supposés. Ensuite pour sa proximité, à tous points de vue, avec le grand rival américain ; son appartenance à des alliances militaires (OTAN) et de renseignement (Five Eyes) d’un grand intérêt pour Pékin ; le fait qu’il s’agisse d’une nation arctique, une zone d’intérêt croissant pour la Chine ; son image de démocratie libérale exemplaire, qui en fait une cible symbolique ; et le fait que ce soit une puissance moyenne, minimisant les conséquences potentielles. Pékin estime également être en position de force en raison de la dépendance canadienne envers le marché chinois – et de celle des universités canadiennes envers les étudiants chinois –, particulièrement en Colombie-Britannique.

On comprend donc pourquoi le Canada a été décrit comme « deuxième priorité » de la Chine après les États-Unis en matière d’espionnage par le transfuge Chen Yonglin. Lors de son passage à Ottawa et à Montréal en 2007, celui-ci affirmait que pas moins d’« un millier d’espions chinois, officiels ou informateurs officieux et occasionnels » étaient actifs sur le territoire.

LA DIASPORA

L’un des objectifs prioritaires des opérations chinoises au Canada est d’étouffer les voix des dissidents. Les cas de harcèlement et d’intimidation de citoyens et de résidents considérés par Pékin comme des menaces sont nombreux et bien documentés.

Pékin organise (la plupart du temps par WeChat) des contre-manifestations agressives, mène des campagnes de harcèlement et d’intimidation visant des individus ciblés, à l’aide parfois de faux comptes et d’images « photoshoppées », utilise les proches restés en Chine comme levier, surveille constamment certaines communautés, notamment les minorités ethniques (dont les Ouïghours), conduit des cyberattaques contre des groupes ou individus dissidents, pratique l’usurpation d’identité (les attaquants ont par exemple envoyé des courriels insultants à des ministres et parlementaires en se faisant passer pour des membres du Falun Gong dans le but de discréditer ces derniers) et les restrictions de déplacement (des militants canadiens se sont vu refuser un visa pour la Chine, ont été arrêtés, détenus et intimidés dans des aéroports chinois, et ont été contraints de quitter le territoire chinois).

Dans tous les cas, le but est le même : étouffer la voix des dissidents. Les représentants de Pékin à l’étranger, en l’occurrence l’ambassadeur et les consuls au Canada, sont directement impliqués dans certaines campagnes d’intimidation.

LA POLITIQUE

Pékin cherche également à influencer la politique canadienne, en sondant et cooptant certains politiciens (députés et ministres à l’échelle fédérale, mais aussi, voire surtout, des politiciens locaux, notamment en Colombie-Britannique et en Ontario, là où sont implantées les plus grandes communautés d’origine chinoise). Il y a également quelques cas d’ingérence électorale : le consulat de Chine à Toronto a envoyé des étudiants chinois dans les foyers sinophones dire pour qui voter et celui à Vancouver est régulièrement accusé de soutenir des candidats d’origine chinoise dans la circonscription de Richmond, où une organisation chinoise a notamment incité les électeurs, par WeChat, à voter pour certains candidats contre de l’argent.

LES MÉDIAS

L’influence vise aussi les médias : la quasi-totalité des médias sinophones au Canada est contrôlée par le Parti communiste chinois (PCC) qui pratique la carotte (encourager les journaux à s’autocensurer en échange d’avantages commerciaux) comme le bâton (intimider, menacer, harceler, faire pression sur des proches en Chine, renvoyer les journalistes qui résistent à cette pression, ou mettre fin aux programmes jugés dissidents). Il y a aussi des cas de manipulation de l’information, notamment de falsification de traduction.

L’ÉDUCATION

L’éducation n’est pas en reste : d’abord dans les universités dont certaines, comme en Australie (mais dans une moindre mesure), sont relativement dépendantes des étudiants chinois. Il faut distinguer deux types de problèmes : d’un côté, le fait que Pékin utilise les universités canadiennes en science et technologie pour espionner et voler des technologies. Cela peut se faire de façon clandestine comme de façon ouverte, par des collaborations : les universitaires canadiens ont de nombreux projets de recherche communs avec des collègues chinois, dont certains sont en réalité des militaires sous couverture, ou travaillent dans des universités chinoises très liées à l’Armée populaire de libération. D’un autre côté, le fait que Pékin utilise les universités canadiennes en général à des fins politiques, pour contrôler ce qui s’y dit sur la Chine et surveiller les dissidents qui s’y expriment. Organisés en associations avec une discipline quasi militaire, levant parfois le drapeau chinois et chantant l’hymne national de leur pays sur les campus canadiens, les étudiants chinois ne cachent pas leur nationalisme.

Il existe plusieurs preuves de l’implication des autorités chinoises (ambassade et consulats) dans ces activités sur les campus canadiens, notamment par l’entremise des associations étudiantes (CSSA).

Ensuite, l’enseignement secondaire n’est pas épargné, notamment parce que la plupart des instituts Confucius au Canada y sont implantés. Il a ainsi été fait état de restrictions de la liberté d’expression des écoliers sur les sujets liés à la Chine, les enseignants interdisant par exemple de parler du massacre de Tian’anmen et présentant des cartes de la Chine intégrant Taiwan.

LES PREMIÈRES NATIONS

Pékin est aussi engagé dans une stratégie de séduction des Premières Nations qui peut potentiellement servir à diviser la société canadienne (avec le récit que « les deux peuples doivent se soutenir face à la marginalisation et au racisme »). Le cas des Musqueam, une population autochtone de la région de Vancouver, est particulièrement intéressant puisque certains d’entre eux ont des ancêtres chinois. Les efforts de Pékin à leur égard sont donc significatifs, mais ils ne sont pas les seules cibles.

PLUS PRÈS QU’ON PENSE

Tout ce qui précède concerne aussi le Québec. Les membres de la petite communauté ouïghoure de Montréal font régulièrement état de la surveillance constante qu’ils subissent. Les autorités chinoises font aussi pression sur les universités québécoises pour tenter de faire annuler les évènements qui leur déplaisent. Et un comité d’experts montréalais (CRG, mondialisation.ca) a joué un rôle dans la diffusion de la théorie conspirationniste de l’origine américaine du coronavirus. Certaines de ses publications ont notamment été diffusées par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois.

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